Mort d'une duchesse
pour
la première fois de la soirée. Penchée en avant, les yeux fixés sur Angelo avec
une expression farouche sur son beau et pâle visage, elle aimantait tous les regards.
— Bandini avait prévu de faire retomber la faute sur
vous. C’est bien là la manigance d’un meurtrier et d’un lâche !
À la façon dont elle cracha ces derniers mots, il était facile
de deviner quelle catégorie elle estimait la pire.
— Il lui fallait bien trouver quelqu’un qui danse, puisque
lui-même en aurait été incapable, reprit-elle d’un ton méprisant. Il fallait
tacher de vin la robe de la duchesse pour l’obliger à se retirer – je
comprends tout à présent – et pouvoir ainsi la tuer !
Se rendant soudain compte de l’attention dont elle était l’objet,
le rouge lui monta aux joues. La veuve Costa, tout en lui tapotant la main, trouva
regrettable qu’un esprit aussi vif ait choisi de prendre le voile ; à en
juger par l’expression des hommes présents, cette fille n’aurait jamais été en
peine de propositions.
— Mais, ma sœur, pourquoi voulait-il la tuer ?
La nonne eut un petit haussement d’épaules, comme pour
signifier qu’il était vain de se demander pourquoi un Bandini voulait tuer. Sigismondo
observait en silence.
— Chacun sait, dit Barley la bouche pleine de navets et
de poireaux braisés, que le duc veut apaiser la querelle des deux familles en
mariant la fille Di Torre au fils Bandini. Ce qui naturellement, ajouta-t-il en
écartant les bras, ne plaît ni aux uns ni aux autres.
Excusez-moi de parler ainsi en votre présence, ma sœur, mais
c’est la haine, et non l’amour, qui fait marcher le monde. Les deux familles
haïssent le duc pour cela. Et ils finiront par causer la ruine de Rocca.
— Mais pourquoi tuer la pauvre duchesse ? insista
la veuve.
— C’est tout simple, répliqua Barley en postillonnant
du navet et en s’essuyant la bouche d’un revers de main. C’est une vengeance. On
peut faire mal à un homme sans le frapper dans sa chair. Car à présent, tout le
monde à Rocca dit…
— … que c’est lui l’assassin, compléta Sigismondo qui s’était
levé pour resservir du vin.
Barley pointa sa cuillère sur lui.
— Tu l’as entendu comme moi. On en parle à voix basse, n’empêche
que c’est ce qui se dit.
— Mais elle n’a pas pu être tuée à la fois par Leandro
Bandini et par le duc, remarqua la veuve avec une certaine impatience.
— Ma chère dame, fit Barley, l’ours patient, quand vous
êtes duc, vous ne pouvez pas tuer votre femme comme ça, pfuitt ! Elle a
une famille, elle est de noble lignée. Les ducs ont besoin de boucs émissaires.
— Ça n’a pas de sens. D’une part vous dites que c’est
le fils Bandini qui l’a tuée parce que l’idée d’épouser la fille Di Torre lui
répugne – c’est bien cela ? – et l’instant d’après vous affirmez que
c’est le duc. Dans ce cas, l’homme qui a engagé votre ami Angelo travaillait-il
pour lui ?
— Ce que j’aimerais savoir, fit la voix grave de Sigismondo
en contrepoint au contralto de la veuve, c’est pourquoi tu as dit que j’avais
trahi le duc. Est-ce pour cette raison qu’on t’a engagé pour me tuer ?
Il croisa les bras sur la table et regarda Barley par en dessous.
La belle-sœur, que les attentions d’Angelo, soucieux que son verre soit
toujours plein, avaient agréablement enivrée, porta les mains à sa poitrine en
priant pour que ces deux hommes redoutables n’entament pas un nouveau combat.
— Celui qui m’a engagé m’en a dit plus que je n’avais
besoin de savoir. Tout ce qu’il me faut, c’est un nom et de l’argent – ou
une description approximative si on ne connaît pas le nom de la personne. Mais,
vous savez, ces gens veulent être en paix avec leur conscience, alors ils se
croient obligés de vous donner les raisons qui les font agir comme ils le font.
Barley eut un gloussement indulgent et but une gorgée de vin.
— Ainsi, le duc aurait révélé ses secrets à ce Sigismondo
au crâne rasé, et celui-ci a couru se mettre au service des Bandini…
— Des Bandini ! s’écria la nonne en se
levant aussitôt.
— Du calme, fit Sigismondo en la forçant à se rasseoir
avant de secouer la tête. Barley est en train de nous expliquer les prétextes
invoqués par cet homme. Celui qui veut ma mort n’a pas forcément dit la vérité.
La nonne se détendit quelque peu. Barley sauça son
Weitere Kostenlose Bücher