Mort d'une duchesse
reviennent à la maison.
La cuisinière réussit à composer un dîner bien que son
assistante la retardât considérablement avec la description de son calvaire, qu’elle
répétait sans se lasser et dans le détail, sans manquer de montrer la marque qu’elle
portait au cou à Benno et à quelques ouvriers de la ferme venus apporter le
bois pour le feu. Ceux-ci clamèrent avec force vociférations que, s’ils avaient
été là, ils auraient fait leur affaire à ces intrus, et la description que
fournirent les femmes de la carrure du colporteur et du caractère démoniaque de
son acolyte fut rejetée comme pure exagération féminine. La confirmation qu’y
apporta Benno fut écartée avec la même fanfaronne assurance. Ce que, personne
toutefois ne parvenait à comprendre, c’est que la maîtresse soit en train de
boire du vin avec cette paire d’assassins.
Le serviteur qui faisait en même temps office de palefrenier,
et qui en vertu de cette charge rencontrait de temps à autre des gens de la
ville, était persuadé que c’était une affaire politique ; la cuisinière
était d’avis que c’était peut-être une de ces curieuses farces que les nobles
aimaient se faire ; la servante se disait certaine qu’on finirait par leur
trancher la gorge à tous, et il fallait sans arrêt aller la rechercher dans le
hall, où elle allait prêter l’oreille, comme si elle s’attendait à entendre d’horribles
plaintes en provenance du premier étage, et à voir un flot de sang s’écouler
dans l’escalier de marbre.
Benno ne parlait guère, mais il acceptait toute la nourriture
qu’on lui proposait. Quoi qu’il advienne, son maître aurait le dessus ; n’avait-il
pas retrouvé dame Cosima ? Biondello, tout aussi confiant, posa la tête
sur ses genoux, et accepta avec reconnaissance la moitié de ce qui arrivait
dans l’assiette de son maître.
Ce furent non des plaintes mais des éclats de rire qui leur
parvinrent d’en haut, et la seule chose qui coula à flots, ce fut le bon vin de
la veuve. Sigismondo et Barley, chacun essayant de surpasser l’histoire que l’autre
venait de raconter, devinrent de plus en plus incohérents et paillards à mesure
que la soirée s’écoulait. La veuve riait ; la belle-sœur riait – non
qu’elle saisît leur humour salace, mais sous l’effet de l’euphorie générale. C’est
Cosima Di Torre qui, en tant que demoiselle de bonne famille, avait eu le moins
d’occasions de rencontrer du monde, de sorte qu’une bonne partie du langage
employé lui paraissait encore plus étrange et incompréhensible que la situation
elle-même. Elle ne se départit pas de son rôle car, comme Benno, elle avait
appris à placer son entière confiance en Sigismondo, et celui-ci ne lui avait
pas dit de dévoiler sa véritable identité. Elle buvait donc peu, gardait les yeux
baissés et ne riait pas.
Angelo non plus ne disait rien. Son rôle consistait à servir
à boire et à être beau, deux tâches dont il s’acquittait à la perfection. Cosima
ne sut pourquoi, mais l’idée lui traversa l’esprit que l’or pâle de sa chevelure
n’était peut-être pas sa couleur naturelle.
On alluma des chandelles. Barley mit une nouvelle bûche dans
la cheminée, bûche qui, dans sa main, avait l’air d’une brindille. On disposa
sur la longue table en chêne des couverts d’argent dont la servante était persuadée
qu’ils finiraient dans la sacoche du colporteur une fois le repas terminé. La
nourriture fut aussi bonne que le vin, dont un des hommes de la cuisine, curieux
de voir la tête des visiteurs, monta quelques bouteilles supplémentaires. À son
retour, il dut reconnaître que les servantes et la cuisinière n’avaient en rien
exagéré la taille du géant roux, mais qu’en revanche le blondinet n’avait pas l’air
plus dangereux qu’une pucelle.
Même une fille de cuisine aurait pu lui arracher un couteau
des mains.
Autour de la grande table, on discuta également des talents
d’Angelo. Barley raconta ce qu’il avait fait depuis la dernière fois qu’il
avait vu son ami Martin ; comment, à la suite de blessures qui pendant un
temps l’avaient empêché de louer son épée, il avait mené une vie vagabonde, allant
même jusqu’à accompagner une troupe de comédiens ambulants qui, de ville en
ville, dansaient, chantaient, vendaient leurs ballades, jonglaient, tiraient
les cartes et donnaient des spectacles de lutte. C’est dans cette troupe, dont
les
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