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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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conscience avec l’impression de me trouver dans une fosse commune, sous un amas de faux cadavres et de morts vivants !

    Un autre groupe de ces travailleurs de la nuit ouvrit en revanche sur une surprise heureuse : un coup de pioche leur livra un trésor digne de Golconde.
    Rapporté avec précaution au quartier général, déposé sur une grande table, il fut étudié et classé par un officier, numismate amateur, Véron-Réville. Je fus des premiers à admirer les pièces de monnaie en or et en argent datant des occupations carthaginoise et romaine, les bijoux et les objets d’art d’une extrême finesse.

    Le siège se poursuivait sans répit sous les neiges de février et les vents âpres tombés des montagnes proches, avec une monotonie répétitive qui risquait d’affecter la combativité de nos troupes. Cédant à la nostalgie de leur terre natale, une compagnie de cavaliers hongrois nous tira sa révérence. Fureur de Lannes : si ce mouvement était suivi par d’autres contingents étrangers, nous risquions d’avoir de sérieux problèmes en matière d’effectifs.
    J’étais appelé de temps à autre à me mêler aux gens du génie pour inspecter les travaux de sape. J’en fus quitte pour quelques blessures qui, de par leur défaut de gravité, m’épargnèrent un séjour dans l’enfer d’Alagon.

    Parfois, contraints de dresser une barricade pour contrarier nos adversaires, nos hommes avaient trouvé une protectionidéale dans les livres que nous découvrions dans les bâtiments administratifs et les bibliothèques des couvents. C’étaient souvent d’antiques grimoires, des incunables, des livres d’heures rongés par les vers. Leur forte résistance aux projectiles en faisait un matériau précieux.
    J’ai pu recueillir et ramener dans mes bagages un ouvrage datant du xiv e  siècle : El Cantar del mío Cid , orné d’enluminures. Il reste encore aujourd’hui, dans la chair du parchemin, la balle qui m’était destinée.
    C’était pour moi et quelques officiers amateurs d’art, comme Lejeune, un crève-cœur que de voir des hommes allumer leur pipe avec des feuilles arrachées à ces ouvrages précieux. Protester contre ce vandalisme nous eût valu la risée générale. Je suis parvenu, non sans peine, à sauver du feu des bivouacs des recueils de poèmes andalous ou mozarabes et des textes religieux, mais combien de ces trésors inestimables ont ainsi disparu ?

    Dans certains quartiers, les rues étaient si étroites que nous étions obligés de démonter nos pièces d’artillerie sous un feu nourri et de les remonter quelques pas plus loin pour les faire progresser sur la chaussée jonchée de débris et de cadavres.
    Un matin, rue del Médio autant qu’il m’en souvienne, j’entendis Rogniat lâcher un gros juron et brandir sa main ensanglantée. Je me proposais de lui faire un pansement quand je constatai qu’il lui manquait un doigt. Il me repoussa.
    – Ça peut attendre, Barsac ! Aide-moi plutôt à récupérer ce foutu majeur, nom de Dieu. Il s’est pas envolé !
    Je le retrouvai sur un tas de gravats, réduit à l’état de tripe. Il le roula dans un mouchoir.
    – Je compte, me dit-il, l’envoyer à ma femme. Elle s’imagine que je passe mon temps à faire l’amour sous les oliviers avec des danseuses de fandango !
    Nous allions perdre, en une seule journée, deux brillants lieutenants du génie : Brenne et Morlet. Blessés par des femmes postées aux fenêtres, ils furent conduits d’urgence à Alagon. Le soir, Lannes, à moitié ivre, s’en prit à Rogniat :
    – Ces messieurs du génie sont incorrigibles ! On dirait qu’ils prennent plaisir à se laisser tirer comme des lapins par ces amazones ibériques… Quand comprendront-ils que ces créatures sont aussi dangereuses que les hommes ? Rogniat, Haxo, vous allez leur faire la leçon.
    Rogniat, qui passait pour ne pas s’en laisser conter sans réagir, regimba :
    – Mon général, vous êtes injuste ! Faudrait-il nous protéger d’une armure pour entrer et sortir de nos taupinières ? Vous semblez croire que nous sommes fascinés par ces femmes au point d’accepter de leur servir de cibles. Des filles, nous en avons suffisamment dans nos bordels de campagne, qui ne sont dangereuses que pour nos bourses ! Ce ne sont pas des condesas ni des marquesas et nous ne risquons pas de tomber amoureux d’elles, comme certains des nôtres que je connais !
    Lannes se raidit et son visage se

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