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Mourir pour Saragosse

Mourir pour Saragosse

Titel: Mourir pour Saragosse Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michel Peyramaure
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amis, que la sainte ampoule ayant été brisée sous la Révolution, il a fallu la remplir avec une autre huile. Je m’interroge sur sa provenance…

    La suite du menu comportait un brochet à la quercynoise. Long de trois pieds, ce seigneur de la Dordogne, trônant en majesté sur un parterre d’ablettes grillées, était fourré d’une panade succulente faite de sa chair mêlée à des écrevisses de l’Ouysse, de jaune d’œufs et de lait. Une pure merveille. Delvert nous affirma que les moines de Rocamadour s’en régalaient jadis. Il l’accompagna d’un glanes blanc généreux venu d’une vigne voisine de sa propriété.
    Ce brochet rappela à Marbot celui qu’il avait dégusté au bivouac, la veille de la bataille de Leipzig, après la retraite de Russie.
    – Il ne m’a pas fait oublier, dit-il à son propos, ceux que je pêchais dans ma jeunesse, à Altillac. Il était raide, mal cuitet assaisonné de gros sel. Une caricature comparée à ceux que préparait notre servante. Ce seigneur des rivières ne souffre pas la médiocrité.
    Leipzig, la « bataille des nations » : soixante mille victimes pour notre seule armée… Je fus surpris que Fournier, qui finissait de dépiauter sa part de brochet, ne relevât pas le gant, alors qu’il avait traversé cet enfer, comme Marbot, mais dans une autre unité. J’aurais pourtant apprécié qu’il évoquât la fameuse charge de Trostianitsé, où le général de division qu’il était, à la tête de la cavalerie légère de Hesse et de Bade, avait contraint cinq mille cavaliers russes à se jeter dans un ravin. Il en avait ramené une blessure à la jambe gauche et un pied gelé.
    Il releva la tête de son assiette, s’essuya les moustaches et soupira.
    – Leipzig, j’aimerais rayer ce nom de ma mémoire, mais il m’obsède depuis treize ans. Tu seras d’accord avec moi, Jean-Baptiste, pour dire que c’était un foutu merdier ! J’y ai perdu mon frère, Joseph, qui était capitaine des chasseurs, comme le grand escogriffe de tout à l’heure.
    Marbot lui-même avait été blessé, au cours de cette même bataille : un coup de lance à la cuisse.
    – Pour me faire enlever la pointe barbelée, j’ai vécu le martyre. J’ai cru qu’on allait me couper la jambe au ras du tronc et que ma dernière heure était venue.
    – À ma connaissance, dis-je, cette bataille aurait pu être évitée. L’Empereur aurait dû ramener en France les débris de sa Grande Armée, au lieu de l’effriter dans des garnisons, au petit bonheur. Il avait battu les Alliés à Dresde, mais ça ne lui a pas suffi. Qu’est-ce qu’il attendait de Leipzig ? Napoléon a ouvert cette bataille avec une armée diminuée et l’a terminée avec des troupes exsangues. Cette défaite n’a eu pour résultat que d’ouvrir la voie de la France aux Alliés et de sonner la fin de l’Empire…
    Un débat suivit entre mes deux amis sur les responsabilités de cette débâcle. Fournier admettait que nous ne pouvions éviter l’affrontement sans risquer d’être pris en tenaille. Marbot accablait Bernadotte, ce renégat devenu roi de Suède et de Hollande, dont l’intervention nous avait été fatale.
    – Je pourrais, dit-il, avoir quelque considération pour des généraux comme Blücher, Schwarzenberg, Bennigsen, mais aucune pour ce traître !

    Delvert reparut, précédant une servante qui portait avec ostentation un lièvre à la cabessal.
    – C’est mon chef-d’œuvre, messieurs ! s’exclama-t-il. J’ai passé une partie de la nuit à le préparer.
    Il nous confia en le découpant qu’il tenait la recette du curé de Cazoulès, expert en matière de cuisine et braconnier émérite. Ce mets tenait son nom de sa forme : avec sa tête entre les pattes arrière, il rappelait le cabessal, le coussin que les femmes posent sur leurs crânes pour ramener l’eau du puits.
    – Beau discours ne remplit pas la panse ! répliquai-je. Tu es un artiste : le Michel-Ange de la table, mais sers-nous vite et n’oublie pas le vin.
    – J’ai prévu un moulin-de-la-Grézette, monsieur le baron. Il est un peu rude mais généreux.
    Avant qu’il ne reparte, je lui demandai pourquoi les chasseurs de l’escorte se montraient si agités.
    – Ils viennent de sécher dix bouteilles, alors ils sont un peu gais. Je vais leur demander de faire moins de raffut. Ça peut incommoder madame votre épouse, et vous de même.

    Je ne sais quelles circonstances finirent par

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