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Naissance de notre force

Naissance de notre force

Titel: Naissance de notre force Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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vieille lui a pris les mains avec autorité
et l’oblige à les joindre, – le froid bleu vient du contact de ces vieilles
mains exsangues qui voudraient pourtant être bonnes. Paquita obéit mais déjà la
terreur est passée. Doucement, avec une insondable obstination dans son regard
sans force, Paquita fait non des yeux. Et la sœur s’en va triste et sévère.
    Dans sa cellule de la prison modèle, le vieux Ribas s’arrête
brusquement, adossé à la porte : d’ici, le regard découvre dans l’étroite
fenêtre toute une branche verte, parfois immobile, parfois lentement balancée. Myope,
Ribas n’a jamais porté de lorgnons ; c’est le secret de l’expression
distante que nous lui connaissons. Il voudrait bien savoir quelles sont ces
feuilles, cela le tourmente et le fait sourire. Il est seul, calme, débile, sans
crainte, confiant. Il sait que nous vaincrons dans un mois, trois mois, six
mois, douze mois. Le terme n’a aucune importance. Il sait aussi qu’on a
toujours la grande ressource de mourir comme Ferrer, pour vivre utilement dans
la mémoire des camarades, laisser une fierté aux enfants, et que ce n’est même
plus très difficile quand on a derrière soi une longue vie harassante, pareille
à un ruban gris, de plus en plus gris, presque noir. « Après tout, à mon
âge, quand on n’est pas très intelligent, c’est encore ce qui peut vous arriver
de mieux. » La journée, pourtant, a été mauvaise. Pas de lettres de la
maison. Il est absurde, bien sûr, de s’inquiéter ainsi. Mais s’il était arrivé
quelque chose au petit Tonio ? Et puis, il n’a laissé à la maison que
cinquante pesetas.
    Dario parle dans une arrière-salle de café sur la route de
Tibidabo. On entend passer des autos, emportant des soupeurs vers les
restaurants de nuit. Douze têtes découpées avec éclat dans une ombre rousse l’entourent.
Une lampe à pétrole est posée devant lui. Son crayon bleu jette sur une feuille
de papier des traits droits et de petites croix pour que ces hommes sachent
bien ce qu’il faudra faire. La lampe charbonne.

13. L’autre ville est la plus forte.
    La lune étend çà et là sur les masses noires de Montjuich
des laques bleues presque blanches. Les maisons au pied de la montagne sont des
rectangles noirs et bleus, marqués par l’alignement des fenêtres d’un
pointillage doré. Chacune de ces dentelures est une lampe éclairant une demeure.
Dans chacune de ces demeures règnent le repos du soir, les propos du soir, les
soucis du soir ; quand cette tête d’épingle lumineuse s’évanouira l’homme
et la femme seront couchés. Et demain ce point lumineux se rallumera, et tous
les jours. Cette durée des infimes destins est accablante. Dans chacun de ces
compartiments éclairés, des hommes s’attablent à cette heure en face de leur
vie ; et leur vie a toujours le même visage de vieille servante sans âge, résignée
à sa claustration. Il y en a qui sont heureux. La vieille servante leur sourit ;
de toutes petites joies, dont quelques-unes sont malpropres, rampent autour d’eux
dans l’air pauvre.
    Nous discutons, attablés sur le balcon ; derrière nous,
dans une de nos chambres une lampe est allumée qui, vue de cette maison
lointaine là-bas, n’est aussi qu’une tête d’épingle ou une dentelure lumineuse.
On distingue très bien, au sommet de Montjuich, la tourelle de la forteresse.
    Nous sommes chez Santiago parce qu’il n’est pas surveillé
depuis sa sortie de prison, l’an dernier, après cette histoire de sabotage du
parc des tramways. Il joue le découragé : nous soupçonnons dans son jeu
une pointe de sincérité. Nous l’entendons qui s’ébroue sous le robinet de la
cuisine. Tous les bruits de cette demeure viennent flotter un instant autour de
nous, légers, transparents me semble-t-il, dans le clair de lune. L’enfant dans
son berceau exécute de ses petites jambes dressées une danse aérienne et
ronronne : « m-mm-mm » ou chantonne sur une note grave :
« â-â-â-â-â ». La mère repasse des langes sur la table en bois blanc.
Nous entendons le heurt assourdi du fer sur la toile. La mère cause doucement
avec une voisine. Ce sont deux voix semblables : l’une pourrait être l’écho
légèrement amplifié de l’autre. Des phrases entières se mêlent à nos propos.
    – Tu as raison, dit Dario, la vraie révolution est là. La
vraie révolution commence quand des millions d’hommes se mettent en route,

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