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Naissance de notre force

Naissance de notre force

Titel: Naissance de notre force Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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de la forteresse ou des petits tertres
anonymes du cimetière. – Ces hommes sont le levain d’un peuple au lent réveil. Chacun
fait sa tâche et passe. Nous ne savons même plus les noms des torturés de
Montjuich et d’Alcada del Valle, mais sans eux quelques milliers de prolétaires
de cette ville n’auraient pas ce courage trempé, cette haine brûlante, cette
exaltation qui en font, dans la peine quotidienne, des combattants. « Nous
servirons toujours à quelque chose. » – Mais je ne peux pas vous crier que
ce n’est plus assez, qu’il faut tourner cette page-là ; s’y prendre
peut-être tout autrement.
    L’autre ville est plus forte. – Dimanche bête. Du soleil
partout : les tramways jaunes se promènent. Les balcons des maisons
cossues, un peu grotesques, sont ornés d’étoffes rouges ; de petits arbres
rabougris, vert cru, cuisent dans l’air surchauffé. Tout ça cru et coloré ;
tout ça bête, bête, bête, avec une incroyable satisfaction d’être béatement
bête au soleil. Entre deux haies de badauds qui ont l’air de s’ennuyer un peu, on
processionne. Et il fait chaud. On processionne et ça fait suer.
    Chapeau bas, on regarde passer, avec des lenteurs de bête
poussive, très ennuyée, la procession. Elle se traîne au long de l’avenue, au
son de musiques qu’on croirait endormies malgré le bruit.
    … Ce Vieux curé, au front bas de bête futée, s’éponge le
front d’un air de lassitude à faire pitié. « Ah, non, quelle corvée, Seigneur !
qu’il fait chaud ! et quel irritant crétin, celui-là qui porte son cierge
comme un parapluie ! » Il doit se dire ces choses, en marchant
sagement sur les talons d’un monsieur béat, chauve, à lunettes, qui porte
sagement un beau drapeau bariolé, tout neuf, figé d’ennui. – Sérieux, endimanchés
de sérieux, des messieurs portent des cierges embarrassants qui fument. Casques
noirs, couverts de retombantes plumes blanches, plastrons bleus, solennels, avec
un balancement endormi des gants blancs, les municipaux escortent un groupe où
l’on transpire. Une vierge en plâtre, entourée de chandeliers, de machines de
verre et de fleurs artificielles, accable ses huit porteurs obèses.
    L’autre ville est plus forte. José a sa bouche amincie des
mauvais instants, un visage de cire durcie. Nous gagnons lentement l’angle d’une
rue voisine, car la foule s’agenouille devant le Saint Sacrement. Des soldats
mettent un genou à terre, fusil croisé, front baissé. Nous sommes seuls debout,
tendus par une sorte de défi. Mais cette ville-ci est la plus forte, la plus
forte.
    … Un petit vieux revêtu d’une chape dorée, ridé comme une
momie mais avec de grosses mains rouges croisées sur l’estomac, chemine sous un
dais. Sans ces grosses mains de rustre on le croirait sorti d’une châsse, tout
glacé dans ses broderies d’or. On tient ouvertes les roses de sa chape.
    Il est passé. Les bedaines avachies, les épaules étriquées, les
silhouettes anguleuses ou noyées de graisse, dans du noir toujours, les faces
rosées, bleuâtres, fermées d’expression, les petites tonsures blanches sur tous
ces crânes mal taillés dans du bois sale, disparaissent et reparaissent. Un
gros monsieur suant, portant son haut-de-forme et son cierge, s’arrête une
seconde et l’on voit qu’il a les ongles noirs. Des fillettes en blanc jettent
des fleurs devant toutes ces laideurs endimanchées, qui vont irrésistiblement, précédées
de grands cavaliers noirs. – Cette ville nous passera sur le ventre. La
gendarmerie d’abord et puis les processions. Ces jeunes filles jetteront des
fleurs sur le pavé où l’on aura lavé le sang. Mais voici que José sourit, désarmé.
Deux moutards noirauds font pipi sous un arbre. De larges rires épanouissent
leurs frimousses encrassées ; et ils s’amusent à faire pipi pendant qu’on
processionne. « Tant que vous ne redeviendrez pareils à ces enfants… »
    Les quatre tours de la Sainte-Famille, compliquées d’échafaudages,
érigent dans le bleu leur laideur apocalyptique. Elles ressemblent à des cheminées
d’usines monumentales, mais difformes et clamant leur inutilité. Elles font
aussi penser à des symboles phalliques.
    Au croisement de deux étroites rues noires, veillées par
les étoiles, ce brasier éclate. Des cercles de feu liquide se poursuivent sans arrêt
autour de lettres flamboyantes tour à tour jaunes et rouges, annonçant 50 Bailarinas. Six fois

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