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Naissance de notre force

Naissance de notre force

Titel: Naissance de notre force Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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car Maerts nous fit dire qu’il offrait le café à deux membres du
groupe. J’y allai avec Sam. Le boucanier darda sur nous, de dessous son feutre,
un énigmatique regard noir.
    – Maerts est sûr, dit-il, parlant de lui-même à la
troisième personne. Tout le camp le sait. Ainsi, franc jeu ! Vous préparez
un coup, hein ?
    – Il y en a qui en préparent, il y en a qui en rêvent, dit
Sam, pour demeurer dans l’indéterminé.
    Nous buvions le café, à petits coups, sans nous presser, ainsi
que de rusés compères discutant un marché. Mais que marchandions-nous là ?
    – Ça réussira, déclara enfin Maerts, si je le veux. Ça
ne vous coûtera que cent francs.
    L’avoir contre nous pouvait être dangereux. Nous acoquiner
avec lui pouvait être pire. Discuter, c’eût été avouer.
    – Vous perdez votre tournée, Monsieur Maerts ; faut
pas vous laisser monter le coup comme ça…
    Nous crûmes devoir rester encore un moment par politesse.
    Nous échangeâmes avec ce gredin de fortes poignées de main. Il
ne pouvait rien savoir de précis. Ses soupçons devaient se fixer sur notre
groupe. Peut-être même le gendarme Richard l’avait-il chargé de nous tâter ?
    Le gendarme Richard, sa ronde faite, entrait dans le
bureau de l’adjudant Soupe. Des épaisseurs d’ennui rapprochaient ces deux
hommes et les rendaient aussi imperméables l’un à l’autre que deux pierres
cimentées dans la même muraille. L’adjudant était la maigreur même, le gendarme
la rondeur. On appelait l’un l’Escogriffe et l’autre la Bille. L’Escogriffe
vivait parmi les bordereaux de fournitures, les pots de géraniums, les lettres
d’un patelin de l’Oise où il avait un petit bien, les journaux chipés dans le
courrier des internés. La Bille gardait son camp avec l’application d’un homme
qui sait son métier, sans zèle toutefois ni méchanceté. « Bonne bille, en
somme », disait-on. La Bille essuya d’un revers de main ses moustaches d’un
noir de goudron et déplia de petits bouts de papier chiffonnés extraits de ses
poches.
    – Allons, le Roumain dénonce le cabaretier : trafic
d’argent.
    – Ça m’est bien égal ! répliqua M. Soupe en
se bourrant le nez de tabac fin. C’est tout ?
    – Non. Le cabaretier dénonce le Roumain : tentative
d’évasion.
    Ça c’était plus sérieux. L’Escogriffe lâcha son journal ;
sa tête réduite aux proportions d’un crâne qui aurait gardé des poils et la
bizarre animation des yeux pareils à des mollusques dans un coquillage ouvert, sortit
de la zone d’indifférence. La Bille était d’ailleurs au courant. Le groupe
russe menait l’affaire, sans doute pour envoyer quelqu’un à Paris.
    – Qui doit partir ?
    – Un petit gras, ouvrier à Billancourt. Pas dangereux. Si
c’était moi, dit bonne Bille, je le laisserais courir. L’autre : Potapenko
dit Sam. Passez-moi son dossier.
    Le dossier ne leur apprit rien de fâcheux.
    – C’est le Roumain que je vise, dit la Bille. Celui-là
ne doit pas passer. Nom de Dieu, non ! pour rien au monde ! Depuis qu’on
a fusillé Duval [28] ,
il fait dans ses culottes et je comprends ça. Moi, je donne des ordres, et nets.
Qu’en dites-vous ?
    M. Soupe approuvait toujours, pourvu qu’il n’y ait pas
d’histoires : « Oh bien sûr, faites pour le mieux », – de sorte
que le rond menait le maigre.
    Il n’y avait qu’une fenêtre, abritée par un pommier, d’où
la descente dans le jardin fût facile. Il n’y avait qu’un factionnaire qui pût
la surveiller commodément. M. Richard fit placer à cet endroit, les soirs
où le temps paraissait pouvoir tourner à l’orage, l’homme qu’il avait choisi
pour son coup d’œil, la finesse de son ouïe et surtout parce qu’il avait bien
des petites choses à se faire pardonner, le territorial Floquette.
    – Écoute bien, lui expliqua la Bille. Ils partiront
trois. Le premier, je m’en moque. On le rattrapera toujours sur la route. Le
troisième aussi. Le second c’est de la crème d’espion. Doit pas passer en aucun
cas. Tu lui envoies du plomb dans les côtes sans te gêner, vas-y. T’auras pas
la médaille militaire pour ça, bien sûr. Mais t’auras toujours cent sous.
    Floquette son fusil chargé à la bretelle se promenait
lentement sous cette fenêtre ouverte désormais sur la route et la mort. Nous
observions le ciel avec une inquiétude de navigateurs. La splendeur des
couchants incendiés nous désolait, car

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