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Naissance de notre force

Naissance de notre force

Titel: Naissance de notre force Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Victor Serge
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pourris, les imbéciles.
    Fomine ouvrit la séance, la tête basse.
    – Paraît que c’est vrai. Ils ont tué Lénine. La
révolution a répondu par la terreur. On a fusillé six cents bourgeois à
Pétrograd. Le prix de sang de quelques escarmouches dans la Somme, après quoi
les états-majors écrivent : « Rien à signaler. » J’approuve la
terreur, camarades. Ne regrettons pas le sang de Lénine. Il a fait sa tâche. Il
faut que la révolution se dresse enfin debout, le glaive nu, et qu’elle frappe.
    Il s’exalta. Des Belges et des Macédoniens, au fond de la
salle regardaient ce grand vieux à crinière blanche qui rappelait les massacres
historiques, les têtes coupées de 93, les ruisseaux rouges de la caserne du
Château-d’Eau en 70 et faisait l’éloge de la terreur.
    Chacun voulut parler, car la parole soulageait. Sonnenschein
se leva, le pince-nez à la main, les yeux embués et dit :
    – J’approuve la terreur…
    Le reste se perdit dans un brouhaha de voix confuses. Dimitri
qui crachait ses poumons, Karl et Grégor solides comme des chênes, Krafft, le
seul vraiment calme, semblait-il, Markus, radieux, et jusqu’au fantoche
Alschitz, tous crièrent :
    – La terreur, la terreur !
    Une averse battit les vitres. Sam se taisait, un peu à l’écart.
L’œil du vieux Fomine le dénicha dans son coin.
    – Et toi Sam, cria Fomine, dis-le, si tu es contre !
si tu fais des réserves ! Nous sommes enfermés, nous sommes enchaînés, nous
ne sommes rien, mais nous votons la terreur. Pour ou contre ?
    Sam répondit sourdement,
    – Pour.
    Et se leva, nous adressant des yeux son adieu. Markus
serrait furtivement des mains en murmurant : « Quelle chance ! »
Ils s’esquivèrent, suivis de Sonnenschein désigné à cause de son aspect
inoffensif pour les aider au dernier moment. Nous prolongeâmes la réunion. Le
soir était tombé très vite, sous les nuages crevés. Les langues de flamme des
bougies montèrent devant le vieux Fomine, firent danser autour de nous des
ombres énormes, tirèrent de l’obscurité des mains et des faces empreintes d’une
violence figée. Et l’on chanta l’ Adieu aux Morts, comme dans les
funérailles révolutionnaires de Russie. Cette lamentation puissante, transformant
une douleur virile en affirmation grave, dégageant un acte de foi de l’adieu et
un serment du sanglot, souleva les âmes de trente hommes dont quelques-uns
étaient médiocres et les deux tiers pareils à la plupart des hommes. Ils
étaient tous sincères. Ils chantaient : «  Notre chemin est pareil
au tien, comme toi, les bagnes nous tueront… » quand un coup de fusil
déchira l’averse, la nuit, notre chant, étendit tout à coup sur nous un silence
glacial où l’on n’entendit plus que la pluie, le hurlement très lointain d’un
dogue, puis une voix véhémente :
    – Halte-là !
    Et le silence éclata de nouveau en détonations claquantes
jetées en tous sens, qui faisaient sauter les cœurs dans les poitrines, convulsaient
des cris inexprimés dans les gorges, rendaient les fronts creux et sonores
comme des cloches battues à toute volée. Et le silence retomba instantanément
sur le tambourinement léger de l’averse. Les langues de feu des bougies n’avaient
pas bougé. Elles éclairaient crûment trois têtes immobiles, singulièrement
inexpressives : Fomine, Gregor, massif, le menton lourd appuyé sur des
mains redoutables et propres, Krafft, épuisé, la bouche mince, les yeux
légèrement bridés… Une seconde chacun put se cramponner à l’idée folle que rien
ne s’était passé ; – mais un râle informe, pleur, gémissement d’assassiné,
nous jeta tous vers les fenêtres, les poings tendus, hurlant :
    – Assassins ! Assassins !
    Une lumière blanche auréolait notre geôle, dans la nuit. Les
rafales de l’averse y fouettaient le vide. Un groupe d’ombres s’évanouissaient
à la limite du champ visuel. Notre clameur inutile se perdit dans cette
blancheur et cette nuit, ce silence et ce vide.
    En trois bonds, Sam, guetté par le factionnaire, avait
franchi la zone dangereuse. L’escalade de la clôture en fil de fer, près d’un
poteau, lui avait réussi. Markus et le Roumain attendaient qu’il fût passé :
la vaste pièce était vide et noire derrière eux ; Sonnenschein gardait la
porte. La nuit entrait dans la fenêtre, froide, mouillée, angoissante.
    – À votre tour, Kagan, dit Markus souriant à son
compagnon. Sam a

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