[Napoléon 1] Le chant du départ
pas refuser, même s’ils ne croient à aucune des phrases qu’ils lisent. Les enfermer dans la nasse. Et ne pas prêter le flanc à la critique. Il appelle un aide de camp, il dicte.
« Quant à moi, je vous demande du repos. J’ai justifié la confiance dont vous m’avez investi… et acquis plus de gloire qu’il n’en faut pour être heureux… La calomnie s’efforcera en vain de me prêter des intentions perfides, ma carrière civile sera comme ma carrière militaire une et simple. Cependant vous devez sentir que je dois sortir d’Italie et je vous demande avec instance de renvoyer, avec la ratification des Préliminaires de paix, des ordres sur la première direction à donner aux affaires d’Italie, et un congé pour me rendre en France. »
Du repos ?
Qu’est-ce que le repos ?
Durant cette nuit du 19 avril 1797, des officiers essoufflés, le visage tiré par la fatigue, pénètrent dans le quartier général. D’un regard, Napoléon les arrête. Commander, c’est tenir à distance respectueuse.
— Quatre cents…, commence l’un.
Quatre cents soldats français, le plus souvent des blessés immobilisés dans leurs lits d’hôpital, ont été tués, égorgés, poignardés, sabrés à Vérone, par des bandes de paysans.
À Venise, un bateau français en rade du Lido a été attaqué, son capitaine tué.
Napoléon congédie les officiers. La vengeance est nécessaire à l’ordre. À la violence il faut répondre par une violence plus grande encore. Il a appris cette loi dans son enfance, à Brienne, à l’École Militaire, à Ajaccio, dans ses premiers commandements, ses premières batailles.
Mais on peut aussi utiliser la vengeance nécessaire comme prétexte à une action déjà décidée. Si l’adversaire se découvre et n’a pas vu l’attaque qui le menace, tant pis pour lui. Il faut frapper vite et fort.
« Croyez-vous, écrit Napoléon au Doge de Venise, que mes légions d’Italie souffriront le massacre que vous excitez ? Le sang de mes frères d’armes sera vengé. »
La répression impitoyable s’abat sur les massacreurs de Vérone, et les troupes françaises entrent à Venise. C’en est fini de la République de Venise, vieille de treize siècles d’histoire indépendante. Elle va pouvoir être livrée à l’Autriche en échange de la rive gauche du Rhin et de la Belgique, et le Directoire approuve, après de longs débats, ces Préliminaires de Leoben.
Je dessine la nouvelle carte de l’Europe .
Quelques jours plus tard, Napoléon décachette le premier courrier que lui adresse de Paris son aide de camp Lavalette :
« Tous, mon cher général, ont les yeux fixés sur vous. Vous tenez le sort de la France entière dans vos mains. Signez la paix et vous la faites changer de face comme par enchantement. Dussiez-vous la faire sur les seules bases du traité préliminaire de Leoben, concluez-la… Et alors, mon cher général, venez jouir des bénédictions du peuple français tout entier qui vous appellera son bienfaiteur. Venez étonner les Parisiens par votre modération et votre philosophie. »
Napoléon relit le courrier.
Il aime ce printemps 1797.
26.
Il a vingt-huit ans. Il apprend à régner.
Il a décidé qu’il logerait avec les siens, sa famille arrivée de Marseille, son état-major, ses invités, cette foule qui maintenant l’entoure au château de Mombello, à douze kilomètres de Milan, une villa somptueuse qu’il a choisie pour fuir les chaleurs de l’été lombard.
Joséphine est à ses côtés. Enfin !
Il la voit à chaque instant, quand il veut. Tout change, même avec une épouse, quand on règne. Elle ne se rend plus sur le Corso, cette promenade des élégantes milanaises qui, dans leurs voitures basses, les bastardelle , s’en vont se faire admirer par les cavaliers qui chevauchent à leur hauteur puis s’arrêtent pour prendre des glaces au café Corsia de Servi . Il n’appréciait pas cette pressante cour d’officiers.
Ici, à Mombello, ils sont toujours autour d’elle, mais ils le craignent.
Il aime voir Joséphine présider les dîners qu’on donne tous les soirs sous une grande tente élevée dans le parc. La table est dressée pour quarante couverts.
Napoléon parle, on l’écoute religieusement, chacun tourne la tête vers lui. Il est le maître. Il impose la frugalité des menus : soupe, bouilli, entrée, salade et fruits, et un seul vin.
Il régente ce monde : ses soeurs Pauline et Caroline,
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