[Napoléon 1] Le chant du départ
son frère Jérôme, Eugène et Hortense de Beauharnais.
Souvent il sent peser sur lui le regard de sa mère et il surprend aussi le coup d’oeil qu’elle jette à Joséphine. Elle ne l’aime pas, mais Joséphine ici est à sa place, entourée par les diplomates autrichiens ou napolitains, tous aristocrates. Il l’observe. Elle a la grâce et l’élégance de la vicomtesse qu’elle a été. Il est saisi parfois d’un brusque désir. Il l’entraîne alors. Peu importe ce que pensent les convives de son attitude.
Il a, lors d’une excursion au lac Majeur en compagnie de Berthier et du diplomate Miot de Mélito, mesuré la gêne des deux hommes qui baissaient les yeux quand il se permettait d’enlacer Joséphine. Mais quoi ! Elle est son épouse, et c’est lui qui fixe les règles.
Cela fait longtemps qu’il ne s’est senti aussi joyeux, aussi léger, peut-être même est-ce la première fois. Son corps reprend des forces. L’énergie ne lui a jamais manqué, mais peu à peu il chasse hors de lui la fatigue comme cette mauvaise gale qui le démange de moins en moins souvent.
Il décide de la vie des uns et des autres, et il éprouve à cela une joie profonde, peut-être l’une des plus fortes qu’il ait ressenties. Sa soeur Élisa a épousé à Marseille un modeste capitaine corse, Félix Bacciocchi. Soit. Il réprouve mais il est contraint d’accepter. Mais on célébrera le mariage religieux à la chapelle du château, en même temps que celui qu’il a voulu entre sa plus jeune soeur Pauline et le général Leclerc. De Bacciocchi, puisque les Anglais ont quitté la Corse depuis le mois d’octobre 1796, on fera un commandant des défenses d’Ajaccio. Joseph, maintenant que les paolistes sont partis dans les bagages des Anglais, a réussi à se faire élire député d’Ajaccio au Conseil des Cinq-Cents, un des rares élus comptés comme jacobins dans une majorité de députés aux tentations monarchistes. On fera de Joseph l’ambassadeur de la République à Rome. Ce sont des faveurs que les Directeurs ne peuvent refuser. Louis Bonaparte est déjà capitaine. Lucien, l’indépendant, l’ambitieux, est Commissaire aux armées, à celle du Nord, du Rhin, puis en Corse, mais surtout il traîne à Paris. Quant à celle vêtue de noir, devant laquelle tous s’inclinent avec respect, Letizia Bonaparte, puisqu’elle veut rentrer en Corse, on organise en souverain son voyage de retour.
Cette impression de puissance, cette certitude d’agir sur le destin des gens, quelle confiance en soi elles donnent !
Il sort sur le perron. Au loin, il aperçoit les sommets encore enneigés des Alpes. À quelques pas derrière lui se tiennent les généraux Berthier et Clarke, plus loin Lannes, Murat et Marmont.
On l’attend pour passer à table.
Des Italiens, paysans des environs ou citadins venus de Milan, sont tenus à distance par quelques-uns des trois cents légionnaires polonais qui gardent le château. Ces soldats sont des hommes gigantesques, recrutés par le prince Dombrowski, exilés comme lui de leur pays partagé, occupé. Ils sont dévoués corps et âme.
Régner, c’est susciter l’admiration et le dévouement.
Napoléon pense à Muiron sur le pont d’Arcole. Le sacrifice des hommes pour celui qu’ils ont choisi comme chef légitime l’autorité de celui-ci.
Les Italiens se pressent. Ils vont assister au dîner. Comme cela se faisait à Versailles, au temps du Roi-Soleil.
Voici qu’on annonce le marquis de Gallo, ambassadeur de Naples à Vienne.
Ils viennent ici jusqu’à moi, ceux d’avant, ceux des cours royales et impériales .
Et il y a aussi Lannes ou Murat, roturiers, soldats de la Révolution.
Cette femme qui s’avance au côté de Joséphine, c’est Saint-Huberty, une comédienne qui eut ses heures de gloire avant la Révolution et qu’on prétend mariée au comte d’Antraigues, un agent royaliste que les services de renseignement de l’armée signalent à Venise et dont on raconte qu’il est au service de la cour de Vienne, de Londres et de Louis XVIII.
Veiller à cela, donner l’ordre de le rechercher .
Voici l’ambassadeur de France Miot de Mélito qui s’arrête, attend un geste de Napoléon pour s’avancer, lui parler de la paix proche sans doute, puisque Gallo est là, que d’autres diplomates italiens arrivent. Il félicite Napoléon de la création d’une République cisalpine et d’une République ligurienne. Il l’interroge sur son rôle
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