[Napoléon 1] Le chant du départ
Robespierre, et même Barras et Fréron, ne lui résistent pas.
Cet ascendant qu’on exerce sur les hommes, quelle jouissance ! Quel alcool ! Quelle femme serait capable de donner un tel sentiment d’ivresse et de puissance ?
Il découvre cela.
Saliceti et les représentants obtiennent le remplacement du général Carteaux. « Le capitaine Canon » l’a emporté. Le général Doppet, qui succède à Carteaux, est un ancien médecin, qui ne résiste que quelques semaines.
Napoléon, le visage ensanglanté par une blessure au front, s’avance, au terme d’une attaque, vers Doppet. C’est donc vous « le jean-foutre qui a fait battre la retraite », lance-t-il à Doppet.
Le général s’éloigne, Napoléon regarde les soldats qui l’entourent. Ils injurient le général. « Aurons-nous toujours des peintres et des médecins pour nous commander ? » crient-ils.
Napoléon reste silencieux. Sa foi en lui-même s’enracine : il est celui qui sait commander aux hommes.
Il demande à être reçu par Saliceti, on doit l’écouter, il a fait ses preuves. Voilà plus de deux mois qu’il se bat, qu’il prévoit, qu’il organise.
— Faudra-t-il donc toujours, dit-il, lutter contre l’ignorance et les basses passions qu’elle engendre ? Dogmatiser et capituler avec un tas d’ ignorantacci , pour détruire leurs préjugés et exécuter ce que la théorie et l’expérience démontrent comme des axiomes à tout officier d’artillerie ?
Saliceti baisse la tête, consent.
Le 16 novembre, le général Dugommier arrive à Ollioules pour remplacer le général Doppet, et deux heures plus tard le général Du Teil le rejoint. À la fin de l’après-midi, Napoléon se rend auprès d’eux. Il connaît Du Teil. Dugommier l’écoute, l’invite à dîner. Au cours du repas, il lui tend un plat de cervelle de mouton. « Tiens, dit-il en riant, tu en as besoin. »
Lorsqu’il entre le 25 novembre dans la petite pièce où se réunit le conseil de guerre, Napoléon sait qu’il a renversé tous les obstacles. Les généraux Dugommier et Du Teil l’approuvent quand, penché sur la carte, il résume son plan : « Prise du fort de l’Éguillette, expulsion des Anglais des rades, et dans le même temps attaquer le fort du mont Faron. »
Saliceti, Augustin Robespierre et Ricord donnent leur accord.
Au moment de quitter la pièce, Napoléon se tourne vers Dugommier.
Celui-ci sourit, passe sa main sur son cou. Si le plan échoue, c’est la guillotine pour lui.
Ce sont les derniers jours avant d’atteindre le but.
Aucune crainte. Napoléon a même un sentiment d’invulnérabilité, qui ne l’étonne pas.
Le 30 novembre, lors d’une contre-attaque pour chasser les Anglais qui se sont emparés par surprise de la batterie de la Convention, il monte à l’assaut, conduit à la baïonnette.
Le général en chef anglais O’Hara est fait prisonnier. Napoléon s’en approche lentement. O’Hara est assis, les coudes sur les cuisses, morne.
O’Hara se redresse en apercevant Napoléon.
— Que désirez-vous ? demande Napoléon.
— Être seul, ne rien devoir à la pitié.
Napoléon s’éloigne en regardant le général anglais. C’est cela, les hommes de guerre. Ils doivent, dans la défaite, faire preuve de fierté et de réserve.
Napoléon s’arrête un instant.
Il est un homme de guerre. Il a vingt-quatre ans et quatre mois.
Napoléon, tirant son cheval par les rênes, avance au milieu des soldats trempés. Le 16 décembre 1793, la pluie tombe à torrents. On n’y voit pas à trois pas. L’attaque est pour cette nuit. Seuls les longs éclairs de l’orage déchirent l’obscurité, éclairant les colonnes rassemblées. Napoléon retrouve Dugommier et les représentants réunis sous une tente qui fait eau de toutes parts. Tous se tournent vers lui. Il lit sur leurs visages l’hésitation et l’inquiétude.
Il est sûr de lui. Cela dépasse la raison, la confiance dans son « système ».
Il dit simplement que le mauvais temps n’est pas une circonstance défavorable. L’expression des visages change. Ainsi sont les hommes. Une conviction forte les oriente, les plie, les entraîne.
Dugommier donne le signal.
Napoléon monte à cheval, les fantassins s’ébranlent. Puis c’est l’assaut. La deuxième colonne se débande sous l’averse aux cris « sauve qui peut », « trahison ».
D’autres continuent en hurlant : « Victoire, à la
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