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[Napoléon 1] Le chant du départ

[Napoléon 1] Le chant du départ

Titel: [Napoléon 1] Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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baïonnette ! »
    Napoléon sent son cheval qui s’effondre, tué. Il se relève, avance, une douleur vive lui traverse la cuisse. Un Anglais vient de le blesser d’un coup de baïonnette. Il court. Près de lui, son ami le capitaine Muiron, plus loin Marmont et le sergent Junot sont au premier rang.
    Le fort Mulgrave est emporté, ses pièces retournées, et dans l’élan, enfin, le fort de l’Éguillette est pris. Les Anglais l’ont abandonné, égorgeant avant de partir leurs chevaux et leurs mulets, dont les cadavres encombrent les couloirs.
    À cet instant seulement, Napoléon sent sa blessure. On le panse. Les Anglais, dit-il, sont de bons soldats, puis, avec mépris, il ajoute, désignant des prisonniers : « Toute cette canaille, Napolitains, Siciliens, sont bien peu de chose. »
    Il se lève, marche en boitant jusqu’au parapet :
    — Demain ou au plus tard après-demain, nous souperons dans Toulon.
     
    Il est calme. Il ne montre pas sa joie. Il accomplit les derniers préparatifs nécessaires, le regard déjà ailleurs.
    On lui rapporte que « les Anglais dénichent de partout », que les Napolitains désertent les forts. Il ne manifeste aucune surprise. Ce sont les conséquences prévues de son système.
    Dans la rade et l’arsenal, des frégates explosent. Les Anglais et les Espagnols font sauter les navires chargés de poudre.
    Dans les lueurs d’incendie, il aperçoit des dizaines de barques et de tartanes, chargées de Toulonnais qui essaient de gagner les navires de la flotte anglo-espagnole. Des chaloupes se renversent. Des femmes crient avant de se noyer, entraînées, dira-t-on, par leurs sacs chargés de bijoux. Les batteries ouvrent le feu, crèvent les coques légères des felouques.
    C’est la fin.
    Le 19 décembre 1793, les troupes républicaines, « les Carmagnoles », entrent dans Toulon.
     
    Maintenant, Napoléon se tient à l’écart. Il passe sans même tourner la tête devant les pelotons d’exécution qui fusillent. Là on pille. Il croise Barras et Fréron, les deux représentants en mission qui doutaient de la victoire, mais qui aujourd’hui font afficher sur les murs des proclamations annonçant qu’ils vont raser la ville et qu’il faut pour cela douze mille maçons.
    Il voit des hommes guider les soldats vers les maisons. Ce sont les Montagnards que l’on vient de libérer des cales du Thémistocle où ils étaient emprisonnés. Ils cherchent leurs dénonciateurs, leurs bourreaux, leurs geôliers. Ils dénoncent à leur tour. Ils massacrent à leur tour.
    Parfois la nausée le prend. Le peuple, quel que soit le drapeau qu’il brandit, reste une bête féroce.
    Lui n’a rien à voir avec cela.
    Il rentre dans son cantonnement. Des femmes l’attendent. Elles supplient. Il ne prononce pas un mot de pitié, mais il intervient, envoie Junot, Marmont ou Muiron, ces officiers qui sont devenus ses proches, arracher quelque victime à la mort.
    Que faire d’autre ?
    Les hommes sont ainsi. La politique est ainsi.
    Il se sent si froid, si lucide que la joie du but atteint s’évanouit.
    Que faire maintenant ?
     
    Le 22 décembre 1793, les représentants en mission le convoquent. Ils sont assis autour d’une table, sur laquelle sont posés des verres et des bouteilles.
    — Quel est cet uniforme ? demande Saliceti en voyant entrer Napoléon.
    Puis il lit un court arrêté que les représentants viennent de prendre. Ils ont nommé le chef de bataillon Napoléon Bonaparte général de brigade, « à cause du zèle et de l’intelligence dont il a donné les preuves en contribuant à la reddition de la ville rebelle ».
    — Il faut changer d’uniforme, reprend Saliceti.
    Il rit en donnant l’accolade à Napoléon.
    Comme tout est terne, quand la course s’arrête.

16.
    Napoléon est assis en face de sa mère. La petite table à laquelle ils sont accoudés occupe presque toute la pièce. Les frères et les soeurs se tiennent debout derrière Letizia Bonaparte.
    Napoléon se lève, parcourt en quelques pas les trois chambres minuscules qui composent tout l’appartement.
    Il a la sensation d’étouffer. Il ouvre la fenêtre mais, malgré le vent froid et humide de ce 4 janvier 1794, l’air lui manque davantage encore.
    Il respire mal depuis qu’il a remonté cette ruelle du Pavillon, proche du port de Marseille. Les odeurs de poisson pourri, d’huile et de détritus lui ont donné la nausée. Il s’est arrêté un instant malgré l’averse

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