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[Napoléon 1] Le chant du départ

[Napoléon 1] Le chant du départ

Titel: [Napoléon 1] Le chant du départ Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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pour regarder la façade grise, celle du numéro 7 de la ruelle.
    C’est là que vivent les siens, au quatrième étage.
    Lorsqu’il est entré dans l’appartement, ses frères et ses soeurs se sont précipités vers lui, puis, intimidés, se sont immobilisés. Louis a touché l’uniforme de général.
    Letizia Bonaparte s’est approchée lentement. Les quelques mois de misère et d’angoisse l’ont vieillie.
    Napoléon a posé sur la table un sac de cuir rempli de lard, de jambon, de pain, d’oeufs et de fruits. Puis il a tendu à sa mère une liasse d’assignats et une poignée de pièces. Enfin il a, d’un autre sac, fait jaillir des chemises, des robes, des chaussures.
    Il est général de brigade, a-t-il expliqué. Sa solde est de douze mille livres par an. Il a touché une prime d’entrée en campagne de plus de deux mille livres. Il a droit à des rations quotidiennes de général.
    Letizia Bonaparte, d’une voix égale, raconte comment ils ont vécu à La Valette, avec la peur des royalistes, puis à Meonnes, dans ce village proche de Brignoles.
    Napoléon écoute. Il dit seulement : « C’est fini. »
    Il pense à Barras. Ce représentant en mission s’est montré l’un des plus acharnés terroristes, après l’entrée dans Toulon. Hier encore, au moment de quitter la ville, Napoléon a vu des hommes alignés contre un mur. Des soldats les tenaient en joue. Un officier passait, éclairant d’une torche le visage des prisonniers, et dans l’ombre un dénonciateur chuchotait. Barras caracolait non loin.
    À l’état-major de Dugommier, on murmure que lors de ses missions à l’armée d’Italie, dans le comté de Nice, Barras s’est constitué un trésor personnel, « au nom de la République », ricane-t-on. Et il en va ainsi de bien des représentants ou des officiers, des soldats même, tous pillards quand ils le peuvent. Les uns chapardent une poignée de figues, les autres des couverts en argent. Les plus habiles et les plus gradés volent les pièces d’or, les oeuvres d’art, et achètent à bon prix les propriétés.
    Belle morale !
    Seuls quelques-uns, comme Augustin Robespierre, restent intègres et clament que le « rasoir national » doit purifier la République et établir le règne de la Vertu !
    — C’est fini, répète Napoléon en se levant, en interrompant sa mère.
    Il doit gagner cette guerre-là aussi, contre la pauvreté ou simplement contre la médiocrité.
    Il ne veut pas être dupe. La vertu, oui, si elle est pour tous. Mais qui imagine que cela est possible ? Alors il faut, il doit être l’égal de ceux qui possèdent le plus, parce qu’il serait injuste, immoral presque, qu’ils vivent comme des pauvres, lui et les siens, que sa mère, comme elle vient d’en faire le récit, soit contrainte à nouveau de nourrir ses enfants d’un morceau de pain de munition et d’un oeuf.
    Dans la tourmente révolutionnaire, les Bonaparte ont tout perdu. C’est justice qu’ils aient leur part de butin.
    L’argent, l’argent ! Ce mot claque comme les talons de Napoléon sur les pavés de la ruelle du Pavillon.
    Ne pas être pauvre, parce que ce serait un exil de plus. Et que tous les Barras que compte la République s’enrichissent à belles dents.
    Valent-ils mieux que moi ?
    L’argent, c’est un autre fort de l’Éguillette. Une clé dont il faut s’emparer pour contrôler ces rades : la vie, son destin.
    Je veux cela aussi .
     
    Il rentre à Toulon.
    Dans son cantonnement, on s’affaire. Il aime ce mouvement des hommes autour de lui. Il a choisi Junot et Marmont comme aides de camp. Il les observe, dévoués, efficaces, admiratifs.
    C’est cela, être un chef, devenir le centre d’un groupe d’hommes qui sont comme les planètes d’un système solaire.
    Napoléon se souvient de ces livres d’astronomie dans lesquels il s’était plongé avec fascination à Paris, alors que s’effondrait la monarchie.
    Les sociétés, les gouvernements, les armées, les familles sont à l’image des cieux. Il leur faut un centre autour duquel ils s’organisent. C’est ce coeur qui détermine la trajectoire des planètes satellites. Que sa force vienne à manquer, et chaque astre s’échappe. Le système se décompose jusqu’à ce qu’une autre force vienne le fixer autour d’un nouveau centre.
    En parcourant les forteresses de Marseille et de Toulon dont on l’a chargé de reconstituer l’artillerie. Napoléon joue avec ses idées.
    Le mois de

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