[Napoléon 1] Le chant du départ
sont réfugiés dans les forêts de l’Estérel et des Maures.
Sans ordre, sans paix intérieure, qu’est-ce qu’une nation ?
Napoléon fait visiter à sa mère les pièces, pousse lui-même les volets.
— Voilà, dit-il, c’est votre maison.
Ce n’est pas la maison familiale d’Ajaccio, mais il lui semble qu’il a commencé d’en reconstruire les murs.
Il s’approche de Louis, son ancien élève d’Auxonne et de Valence. Il vient de le faire nommer à son état-major, bien qu’il n’ait que seize ans.
Puis Napoléon s’enquiert de Lucien, dont Letizia Bonaparte lui rapporte qu’il a l’intention de se marier avec la fille de son aubergiste. Joseph, lui, est bien introduit à Marseille, chez les Clary, de riches négociants de la rue des Phocéens. L’aînée des filles, Julie, a cent cinquante mille livres de dot.
Napoléon écoute. Il est le centre de ce « système » Bonaparte.
Il prend ses habitudes au Château-Salé. Il y dîne avec Marmont, Junot, Muiron, Sébastiani. On y voit aussi Masséna. Et parfois l’épouse de Ricord, le représentant en mission, et même la soeur de Maximilien et Augustin Robespierre, Charlotte, se rencontrent chez celui qu’on appelle « l’ardent républicain ».
Le matin, après ses soirées au Château-Salé, Napoléon rentre à Nice, souvent en compagnie de ses aides de camp. Les chevaux courent le long des grèves, leurs sabots soulevant l’écume des vagues. On traverse le Var à gué, et on arrive sur les quais du port de Nice, dans le soleil levant.
Au travail : sur les plans et les cartes. Réunions avec le général Dumerbion. Napoléon est surpris par la rapidité avec laquelle le temps s’écoule. Son imagination, à partir des cartes, s’enflamme. Il anticipe le mouvement des troupes, les réactions de l’adversaire. Tout s’ordonne dans son esprit comme le déroulement d’une démonstration mathématique, d’un système.
Lorsqu’il s’adresse à Augustin Robespierre ou au général Dumerbion, il sent que rien ne résiste à sa pensée.
Un jour d’avril, Augustin Robespierre lui parle longuement, l’entraînant sur le quai du port, lui disant qu’il a écrit à son frère Maximilien pour lui faire l’éloge de ce « citoyen Bonaparte commandant d’artillerie au mérite transcendant ».
L’armée d’Italie a suivi ses plans. Saorge, Oneglia, le col de Tende sont tombés, et Dumerbion, dans un message à la Convention, a reconnu ce qu’il devait « aux savantes combinaisons du général Bonaparte qui ont assuré la victoire ».
— Pourquoi, reprend Augustin Robespierre, ne pas jouer un rôle plus grand encore, à Paris ?
Napoléon s’arrête, fait mine de ne pas comprendre. Il a préparé un plan, dit-il, qu’il veut soumettre à Maximilien Robespierre. Il s’agit d’un projet d’attaque par l’armée d’Italie tout entière, une manière de contraindre les Autrichiens à défendre la Lombardie, le Tessin, et ainsi de permettre à l’armée du Rhin d’avancer face à un adversaire affaibli.
Augustin Robespierre écoute, approuve, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit.
— Attaquer partout serait du reste une faute militaire, reprend Napoléon comme s’il n’avait pas entendu la remarque du représentant. Il ne faut point disséminer ses attaques mais les concentrer. Il en est des systèmes de guerre comme des sièges des places : réunir ses feux contre un seul point, la brèche faite, l’équilibre est rompu, tout le reste devient inutile et la place tombe.
— Soit, dit Augustin Robespierre.
Il transmettra ce plan d’attaque par l’Italie. Mais Bonaparte connaît-il Hanriot, le chef d’état-major de l’armée révolutionnaire, à Paris, la sauvegarde de la Convention et du Comité de Salut Public ?
Napoléon laisse passer un moment de silence, puis dit :
— Frapper l’Autriche, l’affaiblir par une blessure en Italie, mettre en mouvement l’armée, à partir d’Oneglia et du col de Tende, voilà mon plan.
Le soir, tout au long du trajet vers Antibes qu’il fait en galopant seul, loin devant Junot et Marmont, il analyse la proposition d’Augustin Robespierre : entrer dans le coeur du système robespierriste. Mais faut-il s’exposer prématurément aux coups ?
Hier encore, il a mesuré les jalousies qu’il suscite. On l’a cité à comparaître à la barre de la Convention, pour avoir, à Marseille, remis en état les pièces d’artillerie au
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