[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
fortifications. C’est lui qui, autrefois, dans cette autre vie qui fut la sienne, ordonna ces constructions, ces grands travaux.
Ce pourrait être ici ma dernière forteresse .
Les soldats crient : « Ne nous quittez pas ! » Des officiers s’approchent, lèvent leurs épées : « À l’armée de la Loire ! » lancent-ils.
Il rentre cependant à bord de la Saale . Il a besoin de savoir quelles dépêches sont parvenues à la frégate. Il les parcourt. Le gouvernement le proscrit. Et, derrière les mots qui l’invitent à quitter au plus vite le sol national, il devine d’autres intentions qui se profilent. On veut le décréter de bonne prise.
Le nouveau ministre de la Marine Jaucourt a dû s’entendre avec les Anglais pour se faire lui aussi pardonner par Louis XVIII de m’avoir servi .
C’est avec ma vie et ma liberté qu’ils veulent tous payer le sauf-conduit qui leur permettra d’entrer dans les cercles du nouveau pouvoir. Et il en est de même pour tous ceux qui ont un bien, une situation à défendre. Les journalistes, toujours à gages, m’appellent déjà dans les gazettes reçues ici « l’Usurpateur » .
Ils ne me prendront pas ainsi .
Il quitte la frégate la Saale pour Aix. Là, il s’installe au premier étage de la petite maison du commandant de la place. Il ne dort pas. Il écoute les avis. Le commandant Ponée, de la frégate la Méduse , propose de forcer la croisière anglaise et de se sacrifier avec son navire et son équipage en abordant le Bellerophon . Pendant ce temps, l’Empereur embarqué sur la Saale gagnera le large.
Mais puis-je être sûr du commandant de la Saale ?
Un groupe de jeunes officiers viennent de proposer de s’emparer d’une grosse baleinière pontée et de gagner le large, d’arraisonner un navire marchand et de joindre ainsi les États-Unis. On pourrait aussi fuir sur un navire danois qui se trouve à Aix, amarré dans le port.
Le 13 juillet, Joseph est là à nouveau. Mon frère ! Il le serre contre lui. Joseph se propose de servir de leurre à la flotte anglaise pendant que Napoléon gagnera Bordeaux et quittera la France à bord d’un navire que Joseph vient d’affréter.
Napoléon secoue la tête.
Il ne craint pas les risques qu’impliquent ces projets. La mort n’est rien. Il l’a recherchée. Mais il a toute sa vie passée, à laquelle il doit donner une conclusion à la hauteur de la gloire qui fut la sienne
Donc, pas de fuite mesquine, d’aventure qui se termine en vaudeville.
Il montre à Joseph les membres de la Maison impériale qui se promènent devant la maison. Il y a quatre enfants, l’un de Las Cases, l’une de la comtesse de Montholon, et deux de la comtesse Bertrand. Il y a, outre ces deux femmes, les généraux, les officiers, les domestiques. Près de soixante personnes. Il veut partir dignement avec tous ceux de sa maison.
Il donne à nouveau l’accolade à Joseph. C’est le dernier adieu. Maintenant il va décider seul de la conduite à suivre.
Las Cases et Gourgaud se sont rendus auprès du capitaine Maitland commandant le Bellerophon , afin d’envisager la venue de l’Empereur à bord du navire anglais.
Pourquoi, en effet, ne pas remettre son sort aux mains de ce grand peuple d’Angleterre ? Pourquoi ne pas devancer ainsi, par un geste héroïque, à l’antique, digne de toute ma vie, les manoeuvres des traîtres et les complots des argousins ?
Et si les Anglais, alors que je suis livré à eux, trahissent ma confiance, je serai l’homme d’honneur tombé aux mains de parjures .
Il est minuit, ce 13 juillet 1815.
Il se souvient de Plutarque, des Vies des hommes illustres , ce livre qu’il a lu et relu durant toutes ces années.
Cette fin-là serait à la hauteur de l’histoire que j’ai vécue .
Et puis il éprouve, à la pensée de s’en remettre pour la première fois de sa vie à d’autres, ces Anglais auxquels il va confier sa nouvelle existence, un sentiment de soulagement.
Toute une vie à faire front, à combattre, à relever des défis. Agir sans trêve. Et maintenant une seconde vie, à ne se servir que de son esprit et de sa mémoire. Il dit à Gourgaud :
— Il y a toujours danger à se confier à ses ennemis, mais mieux vaut risquer de se confier à leur honneur que d’être en leurs mains prisonniers de droit.
Il a pris sa décision. Il est apaisé.
Ma destinée va s’accomplir .
Il prend la plume. Il lève les yeux et, par la fenêtre de
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