[Napoléon 4] L'immortel de Sainte-Hélène
dunette que le capitaine Maitland lui a destinée. Il éprouve un sentiment de paix, et presque de la gaieté. Il n’est plus maître que de son esprit. Il se sent libre, comme si le choix qu’il avait fait de s’en remettre aux Anglais le déchargeait enfin du fardeau de la responsabilité. Maitland va choisir la route du Bellerophon , et les vents décideront de la course jusqu’à l’Angleterre. Après…
Le général Gourgaud aura présenté au prince-régent mes désirs. Peut-être me laissera-t-on partir en Amérique, ou bien m’installer en Angleterre .
Et s’il n’en était pas ainsi ?
Il sort sur le pont. Les marins lui rendent les honneurs. Maitland lui annonce que le Superb , le navire de l’amiral Hotham, vient de jeter l’ancre à quelques encablures. Et l’amiral se propose de venir rendre visite aux hôtes du Bellerophon .
Les Anglais ne sont pas des barbares. Ils m’accueillent comme un souverain vaincu, auquel on doit le respect et l’hospitalité .
Il rendra la visite à l’amiral à bord du Superb . Il voit les matelots grimpés dans les vergues du navire comme pour la parade. L’amiral Hotham le reçoit avec faste et respect. Tout est bien. On déjeune.
— Sans vous, les Anglais, j’eusse été Empereur de l’Orient, dit-il ; mais là où il y a de l’eau pour faire flotter un bateau, on est certain de vous rencontrer.
Il se souvient de sir Sydney Smith, son adversaire si souvent affronté. Il évoque son retour d’Égypte à bord de la frégate Muiron , et la main de la fortune qui avait écarté les croisières anglaises, comme elle avait auparavant éloigné la flotte de Nelson.
Il marche sur le pont du Bellerophon qui a enfin appareillé le dimanche soir 16 juillet 1815.
Il est heureux de son choix. Il n’a pas été pris dans la souricière que sûrement voulaient lui tendre Louis XVIII, Talleyrand et Fouché. Il s’accoude au bastingage, regarde disparaître les côtes de France.
Là-bas a été ma vie .
Le dimanche 23 juillet, à cinq heures du matin, il monte sur le pont qu’on lave à grande eau. Mais cette nuit il n’a pas pu dormir. C’était comme si les craquements de la coque du navire résonnaient dans son esprit. On doit être au large d’Ouessant.
Il interroge un aspirant qui montre du doigt cette flèche noire qui s’enfonce dans la mer alors que le jour bleuit.
— Cap Ouessant.
Là-bas, l’extrémité de mon pays, de ma vie .
Napoléon se hisse sur un affût de canon. Il regarde cette pointe de terre dans sa lunette. Il ne peut la quitter des yeux. Et lorsqu’elle disparaît, dans la lumière vive de midi, c’est une part de lui qui s’enfonce dans un abîme.
Et au soir de la même journée, dans le crépuscule, apparaît la côte d’Angleterre.
La pluie tombe sur la rade de Torbay.
Il regarde par les hublots, puis monte sur la dunette. Il voit des milliers d’embarcations qui entoure le Bellerophon . Point d’acclamations mais des bras qui se tendent. Et tout à coup cette silhouette qu’il reconnaît. C’est le général Gourgaud qui monte à bord. Le prince-régent a refusé de le recevoir. Gourgaud n’a pu débarquer du navire qui l’avait conduit en Angleterre en éclaireur. Mais il a pu se procurer des journaux anglais. Las Cases traduit les articles. Ils rapportent que le général Buonaparte doit être emprisonné dans la Tour de Londres ou bien dans une forteresse d’Écosse, ou encore déporté à l’île de Sainte-Hélène.
Qu’est-ce que cela ? Napoléon monte sur le pont. Le Bellerophon avance lentement en longeant la côte vers Plymouth. Les officiers sont maintenant réservés, le visage fermé, et le capitaine Maitland dérobe son regard.
Napoléon marche d’un pas rapide de la poupe à la proue.
Est-ce possible ? Se serait-il jeté dans la nasse ? Il sent qu’autour de lui tout se modifie insensiblement. Dans la rade de Plymouth, deux frégates écartent les embarcations des curieux. Les Anglais sont gens capables de tous les pièges. Il l’a su. Il a voulu l’oublier. La vérité revient toujours frapper ceux qui ferment les yeux pour ne pas la voir.
Il se souvient de l’amiral qui commande l’escadre de la Manche, lord Keith.
Cet officier a participé au siège de Toulon et j’ai fait exploser ses navires, et c’est ce même lord Keith qui a débarqué à Aboukir en 1801 et contraint les dernières troupes françaises à quitter l’Égypte .
— Je désire beaucoup
Weitere Kostenlose Bücher