Napoléon
l’archiduc François comme mari ».
Napoléon la traitait cependant comme un souverain oriental : il ne voulait pas qu’un homme pût se vanter de s’être trouvé en tête à tête avec l’Impératrice pendant deux minutes. Une dame d’honneur s’était vue vertement semoncée par l’Empereur parce qu’elle avait cru devoir quitter la pièce tandis que sa maîtresse prenait sa leçon de musique avec M. Paër. Mahomet ne nous assure-t-il pas qu’une femme restée seule avec un homme le temps de cuire un oeuf, doit être considérée comme adultère ?
Napoléon est avec sa femme d’une grande gentillesse. Il lui apprend lui-même à monter à cheval et la tranquillise, car elle pousse des cris de frayeur :
— Allons, Louise, sois brave, que peux-tu craindre, ne suis-je pas là ?
Comme il a tremblé pour elle le soir de l’incendie qui s’était déclaré lors d’un bal à l’ambassade d’Autriche !
L’année suivante, l’Empereur au loin, Marie-Louise écrira de nouveau à Victoire de Crenneville : « Je ne puis être heureuse qu’auprès de lui. » Elle affirmera encore à son amie qu’elle « ne résisterait pas longtemps » à être séparée de son mari. « Un jour passé sans avoir de lettre suffit pour me mettre au désespoir {15} . »
Assurément, la nouvelle impératrice aime le mari que la défaite de son pays lui a donné pour époux. Il serait plus juste de dire que la sensuelle Marie-Louise – elle finira, racontera l’un de ses familiers, par mourir de « l’abus du plaisir des sens » – appréciait surtout l’amour que son initiateur lui avait révéléau cours de la « prenante » nuit de Compiègne. Mais que valait l’Empereur dans ce domaine ? Avant de devenir la maîtresse de Neipperg, il sera évidemment impossible à la jeune femme de juger avec discernement... Elle appelle son époux Napo ou Popo – ce qui est assez plaisant puisqu’il s’agit de Napoléon – et s’inquiète auprès de son entourage lorsque son « très méchant galant », ainsi qu’elle désigne l’Empereur, l’abandonne durant quelques heures. En présence de la Cour, Marie-Louise mettra la main sur l’épaule de son mari, « le câlinera » lorsqu’elle voudra obtenir quelque chose de lui... et ces manifestations feront perdre contenance à l’Empereur. Sans doute l’apprécie-t-il comme une « charmante enfant... », mais surtout sa vanité d’homme et de parvenu s’est trouvée agréablement flattée. Il a été surpris et touché par le désir que lui témoigne cette jeune fille de dix-neuf ans – « naïve et fraîche » – dont il pourrait être le père ! Il rit avec elle, presque sottement, semblable à ces très jeunes mariés qui, devant des tiers, semblent toujours en confidence. Marie-Louise le considère vraiment comme un amant !
— Elle aimait bien, au reste, avec ses seins ou de quelque manière, tenter d’éveiller mes sens, confiera-t-il un soir à Sainte-Hélène.
Et ici nulle comédie semblable à celle jouée autrefois par la chère créole ! L’orgueil de Napoléon ne peut qu’être chatouillé en voyant l’amour que porte cette archiduchesse, arrière-petite-fille de la grande Marie-Thérèse, petite-nièce de Marie-Antoinette, à l’ancien lieutenant d’artillerie. Ce succès inattendu ne va certes pas le pousser à faire la roue et se pavaner, car cette réussite le met, bien au contraire, vis-à-vis de la nouvelle impératrice, quelque peu en état d’infériorité :
« Je n’ai pas peur de Napoléon, dira Marie-Louise à Metternich, mais je commence à croire qu’il a peur de moi... »
L’Empereur prend du plaisir à entourer sa jeune femme de prévenances, à essayer de l’éblouir par des cadeaux qui feront d’elle, selon son expression, « la personne la plus riche d’atours de la vieilleEurope ». il ne la quitte pas ! Il en oublie son empire ! Il arrive en retard au Conseil ! Et – fait plus grave – ne voulant pas être séparé d’elle, il ne parvient pas à prendre la décision de partir pour l’Espagne afin de mettre fin à l’effroyable hémorragie qui, outre Pyrénées, continue à s’écouler... Il persiste « dans son projet de subjuguer ce pays au prix de tout le sang du sien ». Trois fois il a annoncé son départ, trois fois domestiques, chevaux, fourgons ont pris le chemin de Bayonne. Mais lorsqu’il voit les yeux de faïence de Marie-Louise s’embuer de larmes, il
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