Napoléon
illustre, mais qui, là, sous le jaillissement de sa prunelle, se courbaient plus bas, bien plus bas que son genou... Comme ils étaient petits, interdits, tremblants lorsque le Corse sortait de ses appartements intérieurs et entrait dans la salle du trône par cette porte qui est là, à la droite de l’estrade sur laquelle était un fauteuil de velours rouge avec un N tout en or. Autour étaient rangés les représentants des rois tremblants de l’Europe. Nul ne parlait que bas. Leur regard ne s’élevait qu’à demi, et, lorsqu’il paraissait, alors dans cette vaste chambre nul son ne se faisait entendre, lui seul paraissait tout résumer sur lui. Il s’approchait lentement, et plus de mille regards suivaient la direction du sien... Toutes les oreilles étaient attentives au plus léger son de sa voix. »
On l’entendit demander à Gouvion Saint-Cyr :
— Général, vous arrivez de Naples ?
— Oui, Sire, j’ai cédé le commandement au général Pérignon, que vous avez envoyé pour me remplacer.
— Vous avez reçu sans doute la permission du ministre de la Guerre ?
— Non, Sire, mais je n’avais plus rien à faire à Naples,
— Si dans deux heures, vous n’êtes pas sur le chemin de Naples, avant midi, vous serez fusillé en plaine de Grenelle.
C’est Jupiter qui tonne – un Jupiter autocrate – despotique, déchaîné ! La presse n’a jamais été aussi muselée Réal parle même d’esclavage. Seuls, quatre journaux – le Moniteur, le Journal de l’Empire, la Gazette de France et le Journal de Paris sont autorisés – et combien contrôlés ! Les prisons d’État qui n’ont reçu en onze années que quinze cents à deux mille « pensionnaires » et accueilleront deux mille de 1811 à 1814. Une main de fer s’est appesantie sur l’immense empire.
L’Empereur est agacé en voyant les grandes familles « ne chercher à s’allier qu’entre elles ». Assurément leur but est de « perpétuer chez leurs descendants l’esprit d’opposition » contre la dynastie. Aussi Savary reçoit-il l’ordre d’envoyer cette circulaire : « Messieurs les préfets sont priés de prévenir les autorités des projets d’union qui se formeraient chez les familles fortunées du département et particulièrement chez les anciens royalistes. » Ils sont en même temps chargés de relever le nom de touteles héritières âgées de plus de quatorze ans. Là aussi des tableaux imprimés doivent leur servir de modèles : des colonnes y sont tracées entre lesquelles les hauts fonctionnaires auront à marquer l’âge des jeunes personnes, le chiffre de leur dot et leurs espérances, leurs qualités morales et leurs principes religieux, leurs talents acquis et leurs agréments naturels, sans oublier, le cas échéant, leurs défauts ou leurs infirmités...
— Messieurs, recommande le ministre, il faut s’occuper, aussi des jeunes gens. Oui, veuillez noter avec exactitude tout ce qui concerne les jeunes gens de famille : leur âge, leur taille, la nature et le degré de leur instruction, voilà ce qu’il convient de me dégager.
Tout réglementé ! Tout légiféré !
Le despotisme se déchaîne. Napoléon l’a avoué dès 1807 : il aime le pouvoir comme un musicien aime son violon. Il joue de ce pouvoir non seulement sansmesure, mais il veut désormais en jouer seul ! Les ministres ne sont plus que des figurants – et ne doivent pas être autre chose ! Tous ceux qui osent montrer encore une certaine indépendance sont renvoyés. Après Carnot, après Talleyrand, viendra le tour de Fouché. Il est vrai que celui-ci a quelque peu exagéré en entamant des négociations secrètes avec l’Angleterre en vue d’une paix générale. Et Napoléon l’invective en plein Conseil :
— Vous faites donc, maintenant, monsieur, la guerre et la paix !
Il se tourne vers les autres conseillers :
— Que penseriez-vous, messieurs, d’un ministre qui, abusant de sa position, aurait, à l’insu de son souverain, ouvert des communications avec l’étranger, entamé des négociations diplomatiques sur des bases imaginées par lui seul et compromis ainsi la politique de l’État ? Quelle peine y a-t-il dans nos codes pour une pareille forfaiture ?
— Sans doute, M. Fouché a eu grand tort, murmure Talleyrand, et il faut le remplacer, mais, pour remplacer M. Fouché, je ne vois vraiment que M. le duc d’Otrante !
Ce mot-là valait bien un portefeuille de
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