Napoléon
Dantzig, suivi de trente fourgons uniquement remplis d’uniformes et de coiffures empanachées... Depuis quelque temps l’Empereur n’a pas ménagé son beau-frère qui, lui aussi, joue au souverain indépendant et intrigue même avec l’ennemi – ou les anciens ennemis. L’Empereur l’a accablé de reproches. Aussi l’entrevue a-t-elle été tout d’abord assez tiède. Cependant, Napoléon ayant voulu le reconquérir, y est parvenu et Murat a quitté son impérial beau-frère les larmes aux yeux.
— Au fond, a déclaré l’Empereur, c’est un bon coeur, il m’aime encore plus que ses lazzaroni ; quand il me voit, il m’appartient.
Maintenant qu’il a graissé ses bottes, Napoléon semble heureux. On l’entend fredonner – faux – le Chant du Départ. Il ne pense certes pas que l’on se trouve déjà au coeur de l’été, alors que c’est au printemps qu’il eût fallu attaquer. Se souvient-il encore de ce qu’il a dit au Conseil d’État avant de quitter Paris :
— Je me rendrai à Varsovie, j’y passerai l’hiver à m’y organiser et à faire venir mes dépôts. Mon attitude sera assez imposante pour que je puisse y espérer la paix. Si elle ne se fait pas au printemps, j’assiégerai et je prendrai Riga, puis j’irai faire une insulte à Saint-Pétersbourg, je dis une insulte, car il ne faut pas songer à s’arrêter en Russie.
Le 23 juin, le comte Roman Soltykx, chef d’escadron aux lanciers polonais, qui bivouaque non loin des rives du Niémen, voit arriver au grand galop une berline attelée de six chevaux. Napoléon en descend, préoccupé et fatigué par son voyage. L’Empereur décide d’inspecter les rives du fleuve et, pour ne pas être reconnu par les éclaireurs russes signalés sur la rive droite, change d’habit et prend celui d’un officier polonais. Ses officiers agissent de même...
Lorsqu’ils arrivent au bord du large fleuve, un chef de bataillon qui l’a traversé à la nage vient dire à l’Empereur que l’armée russe semble s’être retirée. Le soir même, vers minuit Napoléon revient au bord du Niémen et suit le fleuve au galop, devinant, dans l’obscurité, la rive russe. Soudain son cheval fait un écart – un lièvre lui est passé entre les jambes – l’Empereur vide les étriers, tombe et se relève aussitôt. Une voix s’exclame :
— Ceci est d’un mauvais présage, un Romain reculerait ! Mais il n’était pas homme à reculer. Le lendemain, sur une hauteur dominant le fleuve et trois ponts ayant été jetés « comme par enchantement », Napoléon regarde l’extraordinaire spectacle : « Toutes les collines, leurs pentes, les vallées sont couvertes d’hommes et de chevaux. Dès que la terre a présenté au soleil toutes ces masses mobiles, revêtues d’armes étincelantes, le signal est donné, et aussitôt cette multitude commence à s’écouler en trois colonnes vers les trois ponts. On les voit serpenter en descendant la courte plaine qui les sépare du Niémen, s’en approcher, gagner les trois passages, s’allonger, se rétrécir pour les traverser, et atteindre enfin ce sol étranger, qu’ils vont dévaster, et qu’ils couvriront bientôt de leurs vastes débris ! »
En abordant la rive russe, où ils pensent être accueillis par des coups de feu, les soldats s’arrêtent angoissés. « Nous nous crûmes dans un cimetière, dira l’un d’eux ; pas un être vivant à l’horizon, pas un habitant dans les villages... » Au loin, des fumées noires tordent leurs volutes. Ce sont des villages qui brûlent. Lorsque les premiers soldats les atteignent, les maisons ne sont plus que cendres. Et, toujours pas un habitant !... Impatient, Napoléon s’enfonce au galop dans la forêt qui borde le fleuve et parcourt ainsi plus d’une lieue.
Rien.
Tout à coup un bruit sourd se fait entendre. Le canon ? Non, c’est un effroyable orage qui s’apprête. Le jour s’obscurcit. Coups de tonnerre et éclairs se succèdent. Puis une pluie diluvienne noie les êtres et les choses.
Et quelques-uns virent là encore un nouveau et funeste présage.
XV
LE CHEMIN DE MOSCOU
En politique, il y a des cas d’où l’on ne peut sortir que par des fautes.
N APOLÉON .
L E ministre de la Police du tsar, le général Balachov, se tient à Vilna dans la pièce que l’empereur de Russie a occupée quelques jours auparavant – cependant, ce n’est plus Alexandre qu’il a devant lui, mais Napoléon... Il
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