Napoléon
écouté sans mot dire.
Selon son accoutumée, les mains derrière le dos, il fait les cent pas d’un mur à l’autre de la pièce. Soudain, il s’arrête et annonce :
— Et moi aussi, je juge une retraite nécessaire...
Il ouvre la porte et fait appeler Berthier. Les maréchaux ont le sourire. En réalité, Napoléon est résolu à mettre le plus tôt possible son plan en action.
Un plan célèbre par sa hardiesse.
Ses troupes, rappelons-le, tiennent actuellement Austerlitz, et tout le plateau de Pratzen. Napoléon ordonne d’évacuer dès l’aube du lendemain ces deux positions-clefs qui seront, il le prévoit, aussitôt occupées par les Austro-Russes. Il décide de fortifier sa gauche. Sur le Santon même – le sommet, alors dégagé d’arbres dont il est maintenant recouvert, se présentait comme une vraie plateforme – on placera l’artillerie du général Claparède. Au centre, sur la rive gauche de la Goldbach, entre les villages et le bas du plateau, Napoléon concentrera le principal de ses forces. Sa droite, aux effectifs réduits, devra être placée en retrait – en échelon refusé en quelque sorte – et s’appuiera, vers le sud, aux villages de Sokolnitz, de Telnitz et de Moenitz.
Napoléon dicte en somme là le plan de l’adversaire ; il l’incite après avoir occupé le Pratzberg et le Stary Vinohrady, à quitter le plateau pour descendre vers Aujzd et à attaquer la droite française, cette droite volontairement dégarnie et faible. Dès que le plateau et ses deux mamelons seront en partie évacués, Napoléon attaquera au centre, occupera Pratzenet se rabattra à gauche et surtout à droite, sur l’ennemi.
Le lendemain, l’Empereur monte de nouveau sur le plateau et, s’avançant jusqu’au début de la descente vers Krenowitz – là même où se trouve aujourd’hui plantée la croix de pierre, dite de Koutousov – il s’assure que les Russes commencent à prendre possession d’Austerlitz, abandonné par lui depuis l’aube. Il sourit et Ségur l’entend s’exclamer :
— Si je voulais empêcher l’ennemi de passer, c’est ici que je me placerais ; mais je n’aurais qu’une bataille ordinaire. Si, au contraire, je refuse ma droite, en la retirant vers Brünn et que les Russes abandonnent ces hauteurs, fussent-ils trois cent mille, ils sont pris en flagrant délit et perdus sans ressource.
Afin de duper encore plus sûrement l’adversaire Napoléon, le 29 novembre, délègue Savary auprès du tsar pour lui proposer une entrevue « demain à l’heure qui lui conviendra, entre les deux armées ». Alexandre est d’autant plus persuadé que Napoléon est anxieux, qu’il a appris à son réveil le repli des troupes impériales. Il le proclame : les Français refusent le combat et se replient sur Vienne ! Il ne peut soupçonner la vérité, le repli stratégique de Napoléon ressemble tant à une retraite ! Aussi se contente-t-il de faire raccompagner Savary par le prince Dolgorouki, son premier – et fort jeune – aide de camp. L’Empereur se trouve alors à son quartier général, derrière le tertre de Zuran. Dès qu’il apprend la présence du prince, il monte à cheval et galope, à sa rencontre, vers la grand-garde, avec tant de hâte que son piquet d’escorte a bien du mal à le suivre. Le prince – un blanc-bec prétentieux, un « polisson », selon l’expression même de l’Empereur – attend sur la chaussée de Brünn à Olmütz, non loin de la route se dirigeant vers Austerlitz, lorsqu’il voit surgir, racontera-t-il, « une petite figure fort sale et mal accoutrée »...
C’est Napoléon.
Vite, l’Empereur entraîne l’aide de camp sur la route et le laisse parler. Dolgorouki d’emblée prend un ton hautain qui déplaît à Napoléon. « J’eus avecce freluquet, écrira l’Empereur au futur roi de Wurtemberg, une conversation dans laquelle il me parla comme il aurait pu parler à un bagnard qu’on voudrait envoyer en Sibérie. »
— Mon maître, poursuit le prince, ne combat que pour l’indépendance de l’Europe, pour la Hollande et pour le roi de Sardaigne.
— La Russie, répond Napoléon, doit suivre une tout autre politique, et ne se préoccuper que de ses propres intérêts.
Cependant, l’Empereur, déjà quelque peu agacé par les manières arrogantes du « freluquet », se contraint pour demander à quelles conditions le tsar accepterait de faire la paix. Le prince Dolgorouki, prend l’extrême
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