Napoléon
modération de l’Empereur « pour une marque de grande terreur » – et Napoléon fera tout pour le laisser s’ancrer dans cette attitude – ne se départ point de son arrogance et laisse tomber de ses lèvres dédaigneuses les « conditions » de son maître : la couronne de fer sur la tête du roi de Sardaigne – avec Gênes et une partie des autres départements français d’Italie – la renonciation à la rive gauche du Rhin, l’abandon de la Belgique et de la Hollande données à un prince de Prusse ou d’Angleterre.
Abandonner même les conquêtes de la Révolution ? Cette fois, l’Empereur explose :
— Quoi ! Bruxelles aussi ? Mais nous sommes en Moravie, et vous seriez sur les hauteurs de Montmartre que vous n’obtiendriez pas Bruxelles !
Dolgorouki, comme s’il n’avait pas entendu, offre à l’Empereur « de le laisser se retirer sain et sauf derrière le Danube, s’il promettait d’évacuer sur-le-champ Vienne et les États héréditaires ».
Napoléon, dont la colère monte et fait briller les yeux, s’écrie :
— Eh bien, nous nous battrons ! Retirez-vous ! Allez, monsieur, allez dire à votre maître que je n’ai point l’habitude de me laisser insulter ainsi, retirez-vous à l’instant même !
Le prince Dolgorouki raccompagné jusqu’aux avant-postes russes, la fureur de Napoléon ne s’apaisepas. Les officiers le voient fouetter la terre de sa cravache, tout en s’écriant :
— L’Italie !... Qu’eussent-ils donc fait de la France si j’eusse été battu ? Mais puisqu’ils le veulent, je m’en lave les mains, et, s’il plaît à Dieu, dans les quarante-huit heures je leur donnerai une leçon sévère !
Un carabinier du 17 e régiment léger se trouve à deux pas et l’Empereur s’aperçoit que le factionnaire l’écoute :
— Sais-tu, lui dit-il, que ces gens-là croient qu’ils vont nous avaler !
— Oh ! que non ! bougonne le soldat, qu’ils essayent, nous nous mettrons en travers !
L’Empereur se met à rire et sa colère tombe. Mais le « polisson » de Dolgorouki n’a rien compris. Il croit – il l’affirmera au tsar – que « Napoléon tremblait de peur ».
— L’avant-garde alliée suffira à le battre, ajoute-t-il en haussant les épaules.
Aussi, trois jours avant la bataille, au camp russe, l’euphorie – dangereuse – demeure totale ! Quant à Napoléon, il sait maintenant que, en dépit de ses efforts sincères, il va falloir en venir aux mains. « Il y aura probablement demain une bataille fort sérieuse avec les Russes, écrit-il à Talleyrand le soir du 30 novembre, au bivouac à deux lieues en avant de Brünn, j’ai beaucoup fait pour l’éviter, car c’est du sang répandu inutilement. » Une fois de plus – et le répéter devient un leitmotiv – s’il est vaincu, Naples et la Prusse viendront l’achever – et ce sera la curée ! Sans parler de la situation financière qui, à Paris, s’est, depuis son départ, considérablement aggravée ! La pénurie de numéraire « devient de plus en plus alarmante », annonce déjà le préfet de Police, le 3 novembre, et la banque Récamier suspend ses paiements une semaine plus tard. « Les queues autour des banques deviennent tumultueuses et ont été ensanglantées par l’intervention très vive de la police. » Les royalistes répètent le mot du préfet flagorneur La Chaise : « Dieu fit Bonaparte et sereposa » – et on ajoute : « Dieu eût mieux fait de se reposer un peu plus tôt »...
Trafalgar a effacé Ulm !
Napoléon se rend compte aussi que son armée est lasse. Pour un Berrichon, un Provençal ou un Girondin – sans parler du Parisien naturellement frondeur – se battre en Moravie sous la grêle, la neige et le vent glacial n’a rien d’exaltant. Aussi, le 1 er décembre, tient-il à leur expliquer sa stratégie : « Pendant qu’ils marcheront pour tourner ma droite, ils me présenteront le flanc. » Pour lui, la victoire est certaine ! « Cette victoire, ajoute-t-il, finira notre campagne, et nous pourrons reprendre nos quartiers d’hiver, où nous serons joints par les nouvelles armées qui se forment en France ; et alors la paix que je ferai sera digne de mon peuple, de vous et de moi. »
Comme Napoléon connaît bien ses hommes ! « Nous répondîmes par des cris de joie, racontera le futur maréchal Bugeaud, alors simple capitaine. Il semblait que chacun célébrait déjà son retour
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