Napoléon
monté jusqu’en haut de la colonne... et a souffleté le bronze :
— Si M. Denon n’avait pas fait du zèle malgré moi, soupire l’Empereur, cela ne serait pas arrivé ! Les statues dans un lieu public sont un privilège réservé aux morts.
Le soir, en se mettant au lit, dans ce lit en bois sculpté et doré – il occupe toujours la pièce — Napoléon espère que « Papa François » ne détrônera pas sa fille et son petit-fils. L’empereur autrichien saura-t-il tenir tête à Metternich qui, lui, Napoléon le sait, veut sa perte. Une archiduchesse régente de France ? Ne serait-ce pas là un beau succès pour Vienne ? Le vaincu s’accroche à cette pensée tandis que la nuit enveloppe le château.
À la même heure, Marie-Louise, le petit Aiglon et la cour impériale à la dérive, qui ont quitté Rambouillet, arrivent à l’hôtel de la Préfecture de Blois. La foule se masse sur la place. L’obscurité tombe lorsqu’un grand roulement se fait entendre. Bientôt le premier carrosse s’arrête devant l’hôtel.
— Enfin Napoléon est fichu, lance quelqu’un dans la nuit. Voilà le cauchemar terminé !
Le lendemain, Napoléon écrira à sa femme : « Tu as tant de peine que je crains que tu ne puisses pas y suffire, c’est une partie de mes maux. »
Le 3 avril, vers dix heures et demie, par un temps couvert et pluvieux, l’Empereur passe en revue, dans la cour du Cheval-Blanc, la division Friant de la Vieille Garde et la division Henrion de la Jeune Garde qui sont arrivées la veille à Fontainebleau. La voix de l’Empereur s’élève, haute, claire, résonnant d’un bout à l’autre de la vaste cour :
— Officiers, sous-officiers et soldats de la Vieille Garde ! L’ennemi nous a dérobé trois marches. Il est entré dans Paris. J’ai fait offrir à l’empereur Alexandre une paix achetée par de grands sacrifices : la France avec ses anciennes limites, en renonçant à nos conquêtes, en perdant tout ce que nous avons gagné depuis la Révolution. Non seulement il a refusé, il a fait plus encore : par les suggestions de ces émigrés auxquels j’ai accordé la vie, et que j’ai comblés de bienfaits, il les autorise à porter la cocarde blanche, et bientôt il voudra la substituer à notre cocarde nationale. Dans peu de jours, j’irai l’attaquer à Paris. Je compte sur vous...
Il y a un silence – affreux. L’Empereur reprend :
— Ai-je raison ?
Tout à coup, c’est un tonnerre de cris :
— Vive l’Empereur ! Vive l’Empereur ! À Paris ! À Paris !
Puis les troupes, avant de reprendre le chemin des avant-postes, défilent au son de la Marseillaise et du Chant du Départ.
Ce soir-là, Marmont, à la fenêtre d’une maison d’Essonnes, est en train de regarder, avec sa lunette, les premiers postes des kaiserliks, lorsqu’on vient lui annoncer un parlementaire russe venant de Chevilly et porteur de cette lettre du prince de Schwarzenberg : « Monsieur le maréchal... Je vous engage, au nom de votre patrie et de l’humanité, à écouter les propositions qui doivent mettre un terme à l’effusion du sang précieux des braves que vous commandez. »
En réalité, ce « parlementaire russe » est un ancien aide de camp de Marmont – Charles de Monttessuy – déguisé en cosaque, knout à la main compris. Il apporte également à son ancien chef la proclamation adressée à l’armée par le gouvernement provisoire créé par le Sénat, le 1 er avril : « Vous n’êtes plus les soldats de Napoléon. Le Sénat, la France entière vous dégagent de vos serments. »
Que va faire Marmont ?
Le 4 avril, à Fontainebleau, il tombe une petite pluie fine. Après la parade de la Garde montante, les soldats crient à nouveau leur amour pour l’Empereur et exigent le départ pour Paris. Les maréchaux vont entrer en scène. Ils ont accueilli la défaite avec une manière de satisfaction mais ne pensent pas encore aux Bourbons. Pour eux, le règne du roi de Rome leur paraît être le seul moyen de sauver l’Empire et leurs dotations, puisque le Sénat vient de voter la déchéance de Napoléon. Ils suivent l’Empereur d’un pas sonore de vainqueurs et, sans y avoir été conviés, entrent derrière lui dans son cabinet.
Napoléon « affectant une assurance qui n’est pas en lui » expose ses projets :
— Les Alliés ! Je vais les écraser dans Paris. Il faut marcher sur la capitale sans tarder !
— Nous ne pouvons
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