Napoléon
bataillon obtempère, tandis que les lanciers qui ont reçu l’ordre de ne point charger, reviennent vers l’Empereur.
C’est alors la scène célèbre.
— Colonel Mallet, ordonne Napoléon, faites mettre l’arme au bras et déployer le drapeau.
Puis, tandis que la petite musique des Elbois joue la Marseillaise, l’Empereur s’avance. Derrière lui marchent Drouot, Cambronne et Bertrand.
— Le voilà ! Feu ! hurle Randon.
Les fusils tremblent, mais pas un homme n’ose épauler. L’Empereur s’est arrêté et lance d’une voix forte :
— Soldats du 5 e , je suis votre empereur. Reconnaissez-moi.
Il fait encore deux ou trois pas, entrouvre sa redingote grise et crie :
— S’il est parmi vous un soldat qui veuille tuer son empereur, me voilà !
Un immense cri de Vive l’Empereur ! lui répond. Les rangs sont aussitôt rompus, a conté Houssaye, « les shakos sont agités à la pointe des baïonnettes, les soldats se précipitent vers leur Empereur, l’entourent, l’acclament, s’agenouillent à ses pieds, touchent en idolâtres ses bottes, son épée et les pans de sa redingote. Grâce au tumulte, le capitaine Randon, que son ordre de faire feu a désigné à la colère des troupes, éperonne son cheval et s’enfuit. Le commandant Delessart, humilié, désespéré, et cependant profondément ému, remet en fondant en larmes son épée à l’Empereur qui l’embrasse pour le consoler. »
Un vieux soldat s’approche alors de Napoléon et fait sonner la baguette dans son fusil :
— Voyez si nous avions envie de vous tuer.
En un instant, les cocardes tricolores que les soldats ont gardées dans leurs sacs depuis l’année précédente prennent la place des cocardes blanches qui, après le départ du bataillon, jonchent le sol, marquant l’emplacement – baptisé la Prairie de la Rencontre – où s’est jouée la scène célèbre à jamais {49} .
Le général Marchand, toujours fidèle à Louis XVIII, a expédié l’ordre aux 7 e et 11 e de ligne, qui se trouvent à Chambéry, de rallier Grenoble. Les deux colonels ont obéi. Le commandant du 7 e s’appelle La Bédoyère. Ancien aide de camp de Lannes, il était l’un des plus brillants officiers de l’armée impériale et l’on devine à quels sentiments il se trouve en proie ce mardi 7 mars 1815. Après avoir passé en revue les deux régiments, le général Marchand les a placés sur les remparts, face à la route de La Mure. Que feront les soldats lorsqu’ils auront le « Petit Tondu » au bout de leur ligne de mire ? C’est alors que La Bédoyère
— et ce geste le fera condamner à mort – tire son épée et s’exclame :
— À moi, soldats du 7 e . À moi ! mes braves camarades. Je vais vous montrer notre chemin. En avant ! Qui m’aime me suive !
Aux cris de Vive l’Empereur ! – qui seront repris bientôt par la plus grande partie de la garnison – le 7 e de ligne s’ébranle. Les faubourgs franchis, La Bédoyère tire de sa poche l’ancien aigle du régiment et le place en haut d’une branche de saule qui devient la hampe du nouveau drapeau... Une heure plus tard – entre Grenoble et Vizille – l’Empereur embrasse l’aigle et le colonel qui apporte ainsi un renfort de dix-huit cents hommes à Napoléon.
Vers neuf heures du soir, le général Marchand, dont la fenêtre domine les remparts, voit « l’Usurpateur » suivi de sa petite armée et entouré de deux mille paysans brandissant fourches et pétoires, et portant des torches « de paille allumée ». Le colonel Roussille qui commande la porte de Bonne, à l’injonction qui lui est faite « au nom de l’Empereur », par le colonel Raoul, refuse d’ouvrir la porte. Le général Marchand harangue alors ses hommes. Il commande à deux mille fantassins et à une puissante artillerie. Pas un lignard n’obéit au commandement de charger les armes. Et les artilleurs ? Marchand se tourne vers l’un de leurs officiers, le royaliste Saint-Genis :
— Si les hommes ne veulent point tirer, les officiers ne tireront-ils pas ?
— Mon général, répond le lieutenant, nous serions hachés sur les pièces. Nos canonniers nous ont prévenus.
On entend une cantinière chanter :
Bon ! Bon !
Napoléon
Va rentrer dans sa maison !
Et une autre :
Nous avons des pommes
Pour le roi de Rome !
Cependant, irrité par la résistance qui lui est opposée, l’Empereur s’avance vers la porte, suivi de La Bédoyère, et
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