Napoléon
suffiront à faire justice ».
Le baron de Vitrolles, seul, voit le danger. Il compte beaucoup sur « Monsieur ». Il est persuadé que le futur Charles X « par sa bonne grâce et son éloquence chevaleresque », pourra entraîner les régiments. Il se rend au pavillon de Marsan où il apprend que le comte d’Artois est à vêpres.
« À vêpres, se dit Vitrolles en attendant dans la salle de service, à vêpres ! Comment est-on à vêpres en de telles circonstances ? Jacques II perdit son royaume pour une messe ; ceux-ci perdront-ils le leur pour des vêpres ? »
Une seule explication peut justifier ce comportement inattendu : Louis XVIII se méfie de son frère et ne l’a pas prévenu. En effet, un quart d’heure plus tard, lorsque Vitrolles entre dans son cabinet, Monsieur semble tout ignorer.
— Eh bien, demande-t-il avec un ton guilleret, m’apportez-vous des nouvelles de nos voyageurs ?
Les « voyageurs » étaient le duc et la duchesse d’Angoulême – Madame Royale et son époux – qui se trouvaient en voyage officiel à Bordeaux. Visiblement – Vitrolles le pense –, le frère du roi n’a pas lu la dépêche de Masséna ; aussi le secrétaire d’État, contrairement à l’étiquette, ose-t-il poser une question :
— Monsieur n’a pas vu le roi depuis la messe ?
— Mais si, je l’ai vu...
Puis, comme s’il s’agissait là d’un événement sans importance, il ajoute nonchalamment :
— À propos, et la nouvelle du débarquement, qu’en dites-vous ?
Non sans peine, Vitrolles dissimule sa stupéfaction, et tente de secouer l’indifférence du comte d’Artois ; il lui expose la gravité de la situation.
— Les troupes ne seront fidèles que si les princes se mettent à leur tête... C’est vous, Monseigneur, qui pouvez le mieux assurer la fidélité de l’armée et réveiller ce qu’il y a de zèle et d’amour pour la cause royale dans les populations...
En silence, le frère de Louis XVIII fait les cent pas dans son cabinet. Vitrolles le suit : « Je ne pouvais constater qu’il m’écoutait, racontera-t-il, qu’à l’allure de ses pas qui se précipitaient à mesure que mes paroles devenaient plus pressantes, tellement qu’à la fin, sans nous en douter, nous étions presque au pas de course. »
Le silence et la galopade se prolongent, Vitrolles recommence ses exhortations. Finalement, le futur Charles X, sans s’arrêter, lance avec impatience :
— Eh bien, je pense que vous avez raison et qu’il faut graisser nos bottes.
— Non, Monseigneur, insiste le ministre essoufflé, il faut partir sans que vos bottes soient graissées.
Le soir même, le comte d’Artois prend la route de Lyon, afin, selon le texte de l’ordonnance royale, de « courir sus à Bonaparte, traître et rebelle, pour s’être introduit à main armée dans le département du Yar ». Il sera suivi, quelques heures plus tard, par le duc d’Orléans, le futur roi Louis-Philippe.
Dès le lendemain, la presse s’en donne à coeur joie. Le Journal des Débats stigmatise « cet homme tout couvert du sang des générations » et il ajoute : « Dieu permettra que le lâche guerrier de Fontainebleau meure de la mort des traîtres. » Dans les jours suivants les anciens compagnons de l’Empereur se mettront au diapason... en attendant d’aller se jeter dans les bras de Napoléon ! Pour Jourdan, qui sera gouverneur de Besançon durant les Cent-Jours, « Buonaparte est un ennemi public ». Pour le général Quiot, qui, lui aussi, demeurera en place entre les deux Restaurations, l’ex-empereur « est un être altéré de sang ». Le général Pacthod, comte de l’Empire, estime de son côté, son ancien maître « odieux à tout être doué de raison ». Il est vrai que l’exemple leur est donné par le ministre de la guerre : « Buonaparte, écrit Soult, nous méprise assez pour croire que nous pourrons abandonner un souverain légitime et bien-aimé pour partager le sort d’un homme qui n’est plus qu’un aventurier... Rallions-nous autour de la bannière des lys, à la voix de ce père du peuple... Il met à votre tête ce prince – le comte d’Artois – modèle des chevaliers français, dont l’heureux retour dans notre patrie a déjà chassé l’usurpateur ! »
Cette diatribe n’empêchera pas Mgr le duc de Dalmatie, spécialiste en revirements, de piétiner, trois semaines plus tard, « la bannière des lys » et d’accepter
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