Napoléon
de l’aventurier la charge de major général et le titre de pair de France.
Le lundi 6 mars, vers deux heures de l’après-midi, l’Empereur quitte le médiocre hôtel Marchand {47} de Gap par la route qui grimpe en lacets vers le col Bayard, à plus de 1200 mètres d’altitude. Napoléon se restaure aux Baraques de Saint-Bonnet – le logis est demeuré une hostellerie – et refuse l’aide des paysans des environs – c’est jour de marché – qui veulent s’embrigader dans son « armée ». Il passe la nuit au village de montagne de Corps, dont les maisons sont pour la plupart précédées d’un perron qui, l’hiver, disparaît sous la neige. Dans sa chambre du premier étage de l’auberge Dumas, aujourd’hui l’hôtel du Palais, dont les deux fenêtres ouvrent sur la route, l’Empereur est réveillé, le mardi 7 mars au matin, par un message de Cambronne qui, toujours à l’avant-garde, lui annonce que le moment tant redouté est proche. Les Elbois vont affronter les troupes du général Marchand qui défend pour Louis XVIII la place de Grenoble et a reçu l’ordre d’arrêter la marche des «brigands de Buonaparte », selon l’expression du préfet Fournier. L’émotion vous étreint lorsqu’on pénètre aujourd’hui dans cette pitoyable chambre numéro un de l’hôtel du Palais {48} . C’est là entre ces quatre murs, sous ce plafond bas, dans ce décor presque misérable, que l’Empereur a appris que son sort allait maintenant se jouer... Tout à l’heure, les soldats du roi vont-ils oser tirer sur lui ?...
À minuit, Laborde, l’adjudant-major de l’avant-garde de Cambronne, a rencontré un adjudant-major du 5 e de ligne venu de Grenoble. Tous deux ont la même mission : préparer le logement.
— Je vois que nous portons une cocarde différente, lui dit Laborde. Mais, répondez-moi avec la franchise d’un soldat. Sommes-nous amis ou ennemis ?
— Deux vieux compagnons d’armes seront toujours amis, réplique l’officier en tendant la main à Laborde.
— Alors, faisons le logement ensemble.
Mais l’officier du 5 e s’est hâté d’aller prévenir son chef, le commandant Delessart qui, avec son bataillon, occupe la hauteur de la Pontine, non loin de La Mure. Delessart rassemble tout son monde. Il s’est fait également suivre d’une compagnie du génie et se replie vers Laffrey, un bourg situé, au coeur d’un merveilleux paysage, à trois lieues de La Mure et qui, ce jour-là, va entrer dans l’Histoire.
Placé au-devant du village, au bord du dernier des trois lacs de Laffrey, Delessart distingue bientôt, au loin, la calèche découverte de l’Empereur et devine la célèbre redingote grise. Napoléon semble inquiet. Le commandant le voit descendre de sa voiture, s’avancer sur le promontoire qui domine le lac, et regarder à la lunette « l’ennemi » qui occupe la prairie. Au galop un officier – le colonel Raoul – quitte l’état-major de l’Empereur, et se porte vers le commandant.
— L’Empereur va marcher vers vous, lui annonce-t-il. Si vous faites feu, le premier coup de fusil sera pour lui. Vous en répondrez devant la France...
Delessart l’interrompt :
— Je suis déterminé à faire mon devoir, et si vous ne vous retirez sur-le-champ, je vous fais arrêter.
— Mais, enfin, tirerez-vous ?
— Je ferai mon devoir.
Un nouvel émissaire – le commissionnaire des guerres Vauthier, – survient, s’arrête sur le front du bataillon et prévient le chef des cocardes blanches « que l’Empereur le rend responsable envers la France et la postérité des ordres qu’il donnera ».
Les soldats du 5 e de ligne écoutent, impassibles. Soudain, les lanciers polonais s’avancent vers eux... Les lignards de Delessart voient, derrière les cavaliers, les bonnets d’ourson et les longues capotes bleues de la Garde. Un frémissement passe dans les rangs et le commandant hurle :
— Bataillon ! demi-tour à droite. Marche !
Talonnés par les lanciers, les soldats de Louis XVIII, pâles, les mâchoires serrées, obéissent et marchent en bon ordre. Delessart se penche vers le jeune capitaine Randon, le futur maréchal de France alors aide de camp et neveu du général Marchand.
— Comment engager le combat avec des hommes qui tremblent de tous leurs membres et qui sont pâles comme la mort !
Les lances des Polonais se trouvent si proches du dos des voltigeurs que le commandant crie :
— Halte ! Faire face !
Le
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