Napoléon
« assoupissement »...
L’Empire maintenant va mourir – et ce sera bien la fin, cette fois.
L’atroce saignée de Waterloo, imputable aux fumées de l’orgueil qui ont enivré Napoléon, est une page de l’histoire de France que le fol héroïsme de Ney ou le panache rabelaisien de Cambronne ne parviennent pas à faire oublier. La France est sortie des Cent-Jours affaiblie, mutilée, ruinée. Rarement entreprise fut plus néfaste pour notre pays. Il est vrai qu’aujourd’hui nombreux sont ceux qui se refusent à regarder ce tragique résultat. Certains ne veulent se souvenir que de cette liberté trop tardive que l’Empereur a été obligé d’accorder aux Français... Pour d’autres, seule compte la prestigieuse aventure et ses péripéties fabuleuses qui ont forgé la légende que Sainte-Hélène achèvera.
XXIX
LA FIN DE L’EMPIRE
On ne répare pas les trônes.
N APOLÉON .
L E mercredi 21 juin 1815, à sept heures du matin, par un temps couvert et nuageux, la chaise de poste de Napoléon contourne au grand galop l’enceinte de Paris et approche de la barrière du Roule – notre actuelle place des Ternes. L’Empereur se hâte de gagner l’Élysée. Il a abandonné les vaincus de Waterloo – débris de régiments se serrant autour de leurs aigles dont pas un n’est tombé aux mains de l’ennemi. Tandis que la voiture descend bruyamment le faubourg Saint-Honoré, l’Empereur réfléchit. Peut-être pourrait-on encore lutter avec les rescapés de Waterloo, le corps intact de Grouchy et cent soixante mille hommes issus de la nouvelle conscription ?
Mais, pour cela, il faudrait décider les députés à
l’aider. Certes, il peut revenir à la dictature et dissoudre cette assemblée de bavards... « Régner par la hache », il le dira plus tard :
— À mon retour de « Waterloo, j’étais d’avis de faire couper le cou à Fouché... et je me repens de ne pas l’avoir fait ! J’aurais dû aller aux Chambres tout en arrivant. Je les aurais remuées et entraînées, mon éloquence les aurait enthousiasmées. J’aurais fait couper la tête à Lanjuinais, à La Fayette, à une douzaine d’autres.
Mais il n’en a ni le courage, ni le goût. Il sait bien – il l’a dit tout à l’heure à Laon – qu’en mettant la main dans le sang, il devrait l’y enfoncer jusqu’au coude ! Faire un coup d’État, violer la légalité, le paralyse. Brumaire l’a prouvé.
Sa respiration est oppressée et après avoir poussé un lourd soupir, il explique à Caulaincourt :
— L’armée a fait des prodiges, une terreur panique l’a saisie, tout a été perdu... Je n’en puis plus... Il me faut deux heures de repos pour être à mes affaires.
Et portant sa main à son coeur, il précise :
— J’étouffe là...
Il demande un bain bouillant et s’y plonge longuement – durant une heure – tandis que s’assemble le Conseil.
Fouché est là, tissant sa toile d’intrigues... Tout à l’heure, avant de se rendre à l’Élysée, le digne pendant en ignominie de M. de Talleyrand a eu une conversation avec le général de Lafayette et l’a minutieusement chapitré et alarmé : il fallait sans tarder faire peur à la Chambre qui allait se réunir ce même matin, en agitant devant elle le fantôme de la dissolution. Mieux valait, n’est-il pas vrai, renverser le maître plutôt que de le laisser dévorer la représentation nationale ? Le champion de la liberté avait là un beau rôle à jouer ! Mais celui que Fouché traite de vieil imbécile parviendra-t-il à affoler ses collègues ?
— En connaissez-vous un plus niais ? demande-t-il à Molé.
Quoi qu’il en soit, Fouché n’a guère le choix.
— Tout est foutu, dit-il ce matin-là à Thibaudeau, si on laisse faire Napoléon, il nous exposerait à être partagés et décimés comme des moutons.
Le « niais » jouerait peut-être fort bien son rôle de marionnette tricolore...
Dès le début du conseil, le problème est posé par Carnot qui conseille à Napoléon de se faire offrir les pleins pouvoirs par la Chambre.
— J’ai besoin, pour sauver la patrie, approuve l’Empereur, d’une dictature temporaire. Je pourrais la saisir, mais il serait utile et plus national qu’elle me fût déférée par les Chambres.
Le ministre d’État Regnault de Saint-Jean-d'Angély hoche la tête tristement. Il aime Napoléon, et il est en supplice de devoir lui déclarer :
— Je doute que les représentants
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