Napoléon
baïonnette d’intervenir. On peut donc aller plus loin.
— Je ne pense pas, se permet de dire l’un d’eux à l’ouverture de la séance, que la Chambre puisse offrir des négociations aux puissances alliées, car elles ont déclaré qu’elles ne traiteraient jamais tant que Napoléon régnerait. Il n’y a donc qu’un parti à prendre, c’est d’engager l’Empereur à abdiquer.
Des applaudissements d’abord timides puis plus assurés se font entendre.
— Dites à votre frère, lance Lafayette à Lucien, de nous envoyer son abdication, sans quoi nous lui enverrons sa déchéance.
Devant l’Élysée, dès l’aube, une foule considérable hurle : Vive l’Empereur ! Comme le remarque fort justement Louis Madelin, « ce sera bien la seule fois qu’on verra dans ce siècle, une foule s’ameuter autour du palais d’un souverain, non pour l’en expulser, mais pour l’y maintenir ». Mais pouvait-elle lutter contre l’ultimatum apporté par Regnault ? La Chambre donnait une heure à Napoléon pour abdiquer !
Une heure !
Le lion blessé veut d’abord sortir ses griffes : il expulsera ces Jacobins ! Ces cerveaux brûlés !
— En abdiquant, déclare Regnault, Votre Majesté sauve le trône de son fils que la déchéance ferait crouler.
— Mon fils ! Mon fils ! riposte-t-il, quelle chimère ! Mais ce n’est pas en faveur de mon fils, mais des Bourbons, que j’abdique. Ceux-là, du moins, ne sont pas prisonniers à Vienne.
Il est midi et demi lorsque l’Empereur ordonne :
— Prince Lucien, écrivez : « Français, en commençant la guerre pour soutenir l’indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés, et le concours de toutes les autorités nationales ; j’étais fondé à espérer le succès, et j’avais bravé les déclarations des puissances contre moi. Les circonstances me paraissent changées. Je m’offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Puissent-ils être sincères dans leurs déclarations et n’en avoir réellement voulu qu’à ma personne... »
Pour la seconde fois, le rêve de 1811 est à terre. L’Empereur ne croit plus en rien... même pas au règne possible de son fils. Et il faut que Carnot et Lucien insistent pour qu’il ajoute à son abdication ces deux lignes : « Ma vie politique est terminée et je proclame mon fils sous le nom de Napoléon II, empereur des Français. »
La rente qui, la veille, à l’annonce de Waterloo, était montée de cinquante-trois à cinquante-cinq francs, atteint bientôt cinquante-neuf francs soixante... Cependant la Chambre se fait tirer l’oreille pour proclamer Napoléon II. Le vaincu doit préciser à la délégation venue le remercier d’avoir accompli son sacrifice :
— Je n’ai abdiqué qu’en faveur de mon fils. Si les Chambres ne le proclament pas, mon abdication sera nulle... D’après la marche que l’on prend, on ramènera les Bourbons. Vous verserez bientôt des larmes de sang.
À la Chambre des Pairs, il est près de neuf heures du soir lorsque Lucien monte à la tribune :
— Il s’agit ici d’éviter la guerre civile ; de savoir si la France est une nation indépendante, une nation libre : l’Empereur est mort ! Vive l’Empereur ! l’Empereur a abdiqué ! Vive l’Empereur ! Il ne peut y avoir d’intervalle entre l’Empereur qui meurt ou qui abdique, et son successeur. Telle est la maxime sur laquelle repose une monarchie constitutionnelle. Toute interruption est anarchie. Je demande qu’en conformité avec l’Acte constitutionnel, la Chambre des Pairs, par un mouvement spontané et unanime, déclare devant le peuple français et les étrangers qu’elle reconnaît Napoléon II comme empereur des Français. J’en donne le premier exemple et je lui jure fidélité.
— Si j’ai bien entendu, questionne Pontécoulant, on veut nous faire adopter une proposition sans délibération ?... Je déclare fermement que je ne reconnaîtrai jamais pour roi un enfant, pour mon souverain celui qui ne résiderait pas en France. On irait bientôt retrouver je ne sais quel sénatus-consulte ; on nous dirait que l’Empereur doit être considéré comme étranger ou captif, que la régente est étrangère, et l’on nous donnerait un autre régent qui nous amènerait la guerre civile.
La Bédoyère qui, rappelons-le, avait offert son régiment à l’Empereur aux portes de Grenoble, bondit à la
Weitere Kostenlose Bücher