Napoléon
susceptible de l’impression qu’il m’a fait éprouver.
Il regarde le délicieux jardin, éblouissant de soleil, ce paysage de rêve qui lui rappelle les heures claires du Consulat. Se souvient-il qu’il avait joué aux barres sur ces pelouses ? Le souvenir de sa chère créole l’obsède.
— Cette pauvre Joséphine, dit-il à Hortense. Je ne puis m’accoutumer à habiter ce lieu sans elle ! Il me semble toujours la voir sortir d’une allée et la voir cueillir ces plantes qu’elle aimait tant !
Pauvre Joséphine ! Au reste, elle serait bien malheureuse à présent. Nous n’avons jamais eu qu’un sujet de querelle : c’était pour ses dettes et je l’ai assez grondée. C’était bien la personne la plus remplie de grâce que j’aie jamais vue. Elle était femme dans toute la force du terme, mobile, vive et le coeur le meilleur. Faites-moi faire un autre portrait d’elle je voudrais qu’il fût en médaillon.
Hortense le lui promet.
Le matin du jeudi 29 juin, le général Béker placé près de Napoléon par le gouvernement provisoire a totalement oublié qu’il est en quelque sorte le geôlier de l’Empereur vaincu. Il roule vers Paris, portant au gouvernement provisoire une proposition du « général Bonaparte ». Dans leur hâte d’occuper Paris, les Prussiens se sont avancés imprudemment. Leurs avant-postes sont déjà établis sur la Basse-Seine. Ils se sont mis ainsi dans une position à être « taillés en pièces », et Napoléon, penché sur la carte, a aussitôt vu la faute. On l’entend murmurer :
— La France ne doit pas être soumise par une poignée de Prussiens !
Rapidement, il est allé revêtir son uniforme de la Garde. Botté, éperonné, il a appelé Béker :
— Qu’on me fasse général, déclare-t-il l’oeil brillant, je commanderai l’armée. Partez pour Paris, une voiture vous attend. Expliquez au gouvernement provisoire que mon intention n’est pas de reprendre le pouvoir. Je veux battre l’ennemi, l’écraser, le forcer par la victoire à donner un cours favorable aux négociations... ensuite, je partirai.
Béker, subjugué, conquis, s’est jeté dans la voiture. Lui aussi espère l’impossible ! Les débris de la Garde et des corps Drouet d’Erlon, Reille et Lobau n’ont-ils pas rejoint les vingt mille hommes du général Grouchy ? Vandamme ne ramène-t-il pas de Belgique le gros de la cavalerie ? Le plus difficile sera peut-être de vaincre la résistance de Davout, ministre de la Guerre. La veille, le prince d’Eckmühl, le héros d’Aboukir, d’Austerlitz et de Wagram, n’a-t-il pas osé crier à Flahaut :
— Votre Bonaparte ne veut point partir ? Mais il faudra bien qu’il nous débarrasse de lui ! Sa présence nous gêne ! Qu’il parte sur-le-champ, sans quoi nous serons obligés de le faire arrêter !... Je l’arrêterai moi-même !
Au pont de Neuilly, le général doit abandonner sa chaise de poste. Les Prussiens sont à quelques lieues et une barricade barre le pont. C’est à pied que Béker atteint, non sans mal, l’autre rive. Il parvient à découvrir un cabriolet vétusté dont le cocher consent à le conduire aux Tuileries. Tel est l’équipage du dernier ambassadeur de l’empereur Napoléon !
La commission est réunie. Il y a là Fouché, Carnot, Caulaincourt, Quinette et Grenier. En réalité, il n’y a que Fouché ; tous se tiennent cois, même Carnot.
— Est-ce qu’il se moque de nous ? s’exclame le duc d’Otrante en apprenant quelle est la mission de Béker.
Caulaincourt, dont l’émotion se lit sur le visage, baisse la tête. Carnot, pour cacher son trouble, fait les cent pas. Tous sentent que Fouché a raison. Le cauchemar de la guerre va-t-il recommencer ? La France va-t-elle subir une nouvelle saignée ?
— Ne sait-on pas comment il tiendrait ses promesses si ses propositions étaient acceptables ?
L’ancien ministre de l’Empereur interpelle Béker avec violence :
— Pourquoi vous êtes-vous chargé d’une pareille mission, lorsque vous deviez presser l’Empereur de hâter son départ ?
Pourtant, trois jours auparavant, Fouché avait déclaré :
— Le plus pressé est d’empêcher le départ de Napoléon !
Quel otage ne tenait-il pas ainsi entre ses mains ! Et il avait tout fait pour entraver les projets de l’Empereur, lui refusant d’abord un passeport – le mettant ainsi, sur la route, à la merci d’un maire de village – subordonnant
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