Napoléon
possibilités qui permettaient à « tout être humain résidant en Grande-Bretagne, et emprisonné sans jugement, de solliciter, ou de faire solliciter par une tierce personne, auprès du chancelier ou auprès de l’un des grands juges d’Angleterre, un Writ of Habeas Corpus ad judicandum, sorte de mandat provoquant l’ouverture immédiate de la procédure et, éventuellement, l’élargissement du détenu si sa culpabilité n’était pas suffisamment établie. » Napoléon pensait peut-être à ce bill depuis l’île d’Aix, Dans sa lettre au Prince-Régent, l’Empereur n’avait-il pas déclaré se mettre « sous la protection des lois du peuple britannique ».
Sir Samuel, recevant la demande de Napoléon, se mit aussitôt à l’ouvrage. Malheureusement, si j’ose dire, l’Empereur n’était ni un criminel ni un délinquant destiné à passer en jugement devant un tribunal. Bien que détenu à bord d’un vaisseau de guerre britannique, il pouvait difficilement revendiquer un juge pour statuer sur son sort, mais le « déporté » avait la possibilité, par contre, selon le juriste, de se faire délivrer un sub poena ad testificandum, c’est-à-dire une assignation à comparaître comme témoin dans un quelconque procès en cours.
Ainsi fut fait.
Le procès choisi opposait l’amiral sir Alexander Forrester Cochrane et Anthony Mackenrot, qui reprochait à l’amiral de n’avoir pas, en 1806, attaqué au large de l’île de Tortola, dans les Petites Antilles, l’escadre française commandée par Willaumez. Libéral, séduit par l’idée de sir Samuel Romilly, Mackenrot eut l’idée d’assigner « Napoléon Bonaparte » en qualité de témoin dans son procès qui devait seulement commencer le 10 novembre 1815. Jusqu’à l’ouverture des débats, Napoléon devrait donc rester en Angleterre, à la disposition de la Justice, et, d’ici là, les libéraux pouvaient espérer empêcher la déportation du « général ».
Mais pour cela, il fallait tout d’abord, selon la loi, remettre en main propre le sub poena à Napoléon ou, à défaut de celui-ci, à son « gardien » lord Keith qui se serait trouvé dans l’obligation de transmettre l’assignation à son prisonnier. C’est alors que commença une invraisemblable poursuite. Prévenu par lord Liverpool, lord Keith se mit à fuir devant Mackenrot. Il parvint à quitter son domicile en s’échappant par la porte de sa cuisine et partit se réfugier à bord du Tonnant, le vaisseau amiral. Mais, tandis que Mackenrot montait à bâbord, lord Keith descendait par l’échelle tribord et réussissait à aller se cacher incognito à bord du Prometheus. Demeurait « le témoin ». Pourquoi ne pas le citer directement à comparaître ? Mackenrot essaya alors de rejoindre le Bellerophon qui, sur l’ordre de l’amiral, s’éloignait de la rade. Il y parviendra presque, devina la silhouette de Napoléon à la poupe du navire, réussira même – s’il faut l’en croire – à faire parvenir à l’Empereur un message, agita son assignation à quelques encablures de Maitland, mais la houle devint si forte que le malheureux, son sub poena toujours à la main, dut rebrousser chemin et regagner le port. Il essayera, mais en vain, le lendemain 5 août, de poursuivre le Bellerophon en frétant un cutter mais, le vent s’étant levé, les vaisseaux avaient réussi à s’éloigner de la terre et à fuir...
Napoléon n’a plus désormais qu’à s’incliner. Dans le clan français c’est la consternation. « Notre abattement est extrême », écrit Gourgaud dans son Journal. Mme Bertrand « court comme une folle chez l’Empereur... » et on a bien du mal à l’empêcher de se jeter à la mer... Il n’y a maintenant plus d’espoir et, le samedi 5 août, le Bellerophon se porte à la rencontre du Northumberland désigné pour conduire le prisonnier à Sainte-Hélène. Le temps est exécrable. Le vent souffle. La mer se creuse. Et Napoléon, dans la tempête qui monte, s’adresse au monde et lance à l’Histoire ces paroles immortelles :
« Je proteste solennellement ici, à la face du Ciel et des hommes, contre la violence qui m’est faite, contre la violation de mes droits les plus sacrés, en disposant par la force de ma personne et de ma liberté. Je suis venu librement à bord du Bellerophon ; je ne suis point prisonnier ; je suis l’hôte de l’Angleterre. J’y suis venu à l’instigation même du capitaine qui
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