Napoléon
S.M. britannique s’engageaient à respecter les dispositions testamentaires du vaincu...
Napoléon bondit, indigné :
— Je ne m’attendais pas à cela ! Je ne conçois pas qu’on puisse faire d’objection raisonnable contre ma résidence paisible en Angleterre pour le reste de ma vie.
Et, exaspéré, il ressasse une fois de plus l’argument qui, sans répit, se présente à son esprit :
— Vous m’avez envoyé des ambassadeurs comme à un potentat ! Vous m’avez reconnu comme Premier Consul !
Placide, Cockburn se contente de répondre par une autre question – et en la posant, il croit témoigner de grands égards :
— À quelle heure demain matin, général, dois-je venir et pourrai-je vous recevoir à bord du Northumberland ?
La colère de l’Empereur tombe. Impuissant, vaincu, résigné, il murmure sourdement :
— À dix heures.
Le lendemain lundi 7 août – dans le ciel courent de lourds nuages sombres – se déroule le pénible inventaire des innombrables caisses et bagages chargés à l’île d’Aix. Napoléon parvient à dissimuler la plus grande partie de sa fortune en la confiant à ses compagnons. Les Anglais saisissent simplement cinq mille cinq cents napoléons et en rendent quinze cents à l’Empereur pour les appointements de ses domestiques.
Les opérations terminées, lord Keith s’incline devant « le général ».
— L’Angleterre vous demande votre épée.
Napoléon porte la main à la garde de son arme, et lance un regard si terrible, que les Anglais n’osent insister et se retirent penauds...
C’est seulement à onze heures que l’amiral Cockburn et lord Keith arrivent à bord du Bellerophon pour venir chercher leur prisonnier. Ils sont en retard et Napoléon s’offre le luxe de les faire attendre. Cockburn s’impatiente. Lord Keith le calme :
— Des hommes de bien plus grande importance que vous et moi l’ont attendu davantage. Laissons-le prendre son temps !
Enfin Napoléon paraît, accablé. « Il avait passé sans soin ses habits, raconte l’aspirant Home, du Bellerophon. Il n’était pas rasé. Son visage était blême, hagard, sa démarche manquait de fermeté. Ses paupières baissées, ses traits révélaient la plus profonde tristesse... Pour un simple mortel, le spectacle était à fendre l’âme. Le pont avait toute l’apparence d’une place d’exécution. Seuls le bourreau, sa hache et son billot manquaient. » On voit le condamné s’approcher de Maitland et soulever son chapeau :
— La postérité ne pourra en rien vous accuser de ce qui se passe. Vous avez été trompé comme moi.
Tête nue, il s’avance ensuite devant l’équipage rassemblé, puis, toujours profondément abattu, se dirige vers le petit groupe d’officiers français à la tête desquels se trouvent Savary et Lallemand. Tous laissent couler leurs larmes.
— Vous observerez, Milord, murmure Las Cases à lord Keith, qu’ici ceux qui pleurent sont ceux qui restent.
Au moment de quitter le bord, Napoléon se tourne une dernière fois vers les officiers du Bellerophon qui se tiennent sur le gaillard d’arrière, agite mélancoliquement la main en signe d’adieu, saisit les tireveilles de la coupée et descend l’échelle pour s’asseoir dans la chaloupe du Northumberland, entre lord Keith et l’amiral Cockburn.
Bertrand monte le premier sur le Northumberland et tente encore une fois de lutter en lançant d’une voix forte :
— L’Empereur !
Mais, cette fois, on ne rend aucun honneur au déporté – et c’est pour lord Keith que les tambours battent et que la garde présente les armes. Amer, Napoléon soulève son chapeau et déclare à Cockburn :
— Monsieur, je suis à vos ordres.
Les consignes sont formelles : le prisonnier doit désormais être traité « comme un général en disponibilité ». La haine semble avoir fait perdre, cette année-là, le sens de l’humour aux Britanniques... Dans le salon, l’amiral présente ses officiers au prisonnier, parmi lesquels le commandant du navire – le capitaine Ross – et le colonel Bingham, dont le régiment – le 53 e d’infanterie – a été embarqué pour assumer à Sainte-Hélène la garde du vaincu. Le salon de belles proportions paraît à l’Empereur tout désigné pour devenir son cabinet de travail durant la longue traversée. Mais Cockburn refuse : le « carré » appartient en commun à tous les officiers. Le « général Bonaparte » n’a
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