Napoléon
peut-être, une information vieille de plusieurs mois... Il n’en fut pas de même de la suite du proscrit qui s’agita comme une fourmilière brusquement mise au jour. Le retour de Gourgaud à bord – il n’était point parvenu à remettre sa lettre au Prince-Régent – et l’annonce du départ pour la rade de Plymouth, le surlendemain même de l’arrivée, ne furent pas pour apporter des éléments de détente. Pourquoi s’éloignait-on ainsi de Londres ? Peut-être le château qui serait assigné comme résidence au proscrit se trouvait-il en Cornouailles ? Dès que le Bellerophon eut jeté l’ancre au large de Plymouth, le même manège se reproduisit. Comme devant Torbay, les curieux venus des environs se sont entassés dans les embarcations pour essayer d’approcher du vaisseau de Maitland. Mais cette fois, deux frégates – le Liffey et l’Eurotas – montent la garde de part et d’autre du Bellerophon, et leurs canots ont reçu l’ordre de ne jamais cesser leur ronde, de jour comme de nuit. L’amiral lord Keith, commandant en chef la flotte de la Manche, se trouve à bord de son vaisseau le Tonnant. Aussitôt après avoir jeté l’ancre – le jeudi 27 juillet – Maitland est allé lui annoncer que « le Général » serait heureux de le recevoir.
— J’irai le voir avec plaisir, répond l’amiral, mais, pour vous dire la vérité, je n’ai pas encore reçu d’instructions relativement à la manière dont il doit être traité et, jusqu’à ce que je les reçoive, je ne saurais aller lui rendre visite.
Lorsque Maitland vient rapporter cette réponse à son prisonnier, Napoléon s’exclame :
— Je suis extrêmement impatient de voir l’amiral, et, en conséquence, je le prie de ne pas tenir à l’étiquette {54} : je serai satisfait d’être traité comme un simple particulier, jusqu’à ce que le gouvernement anglais ait décidé comment on doit me considérer.
Autre chose gêne le proscrit : la présence des deux frégates qui flanquent le Bellerophon :
— Je suis peiné que l’on ait cru devoir placer deux bâtiments de garde autour du Bellerophon.
Maitland balbutie que c’est là une mesure prise pour assurer sa protection.
— Comme si je n’étais pas parfaitement en sûreté à bord d’un vaisseau de ligne !
Puis il ajoute :
— Les canots des bâtiments de garde ont tiré des coups de feu pendant toute la soirée pour écarter les embarcations du Bellerophon, cela me trouble et me peine ; je vous serais obligé de l’empêcher si c’est en votre pouvoir.
Ce même soir, lord Keith annonce à Maitland :
— Je ne trouve plus aucune difficulté à aller le voir, ayant reçu des instructions complètes sur la manière dont il doit être traité : on doit le considérer comme un général en chef et lui rendre tous les honneurs dus à ce rang, mais rien de plus. Vous pouvez donc lui dire que j’irai le voir demain matin.
Lord Keith n’ignore pas, ce matin du vendredi 28 juillet, que le gouvernement a décidé de déporter son prisonnier à Sainte-Hélène, aussi écoute-t-il, visiblement ennuyé, le long discours que lui inflige Napoléon. Celui-ci se montre de plus en plus inquiété par les précisions publiées dans la presse britannique et par les bruits rapportés par la petite cour dont l’anxiété, selon Las Cases, est « difficile à dépeindre ».
— Je me suis livré moi-même aux Anglais, explique l’Empereur à l’amiral. Je n’aurais pas voulu agir ainsi avec aucune autre Puissance alliée. En me livrant à l’une d’elles, j’aurais été sujet aux caprices et à la volonté d’un individu : en me soumettant à l’Angleterre, je me place moi-même à la merci de la Nation.
Lord Keith est stupéfait. Comment le proscrit peut-il se leurrer de la sorte ? L’amiral a beau l’appeler avec intention « général », Napoléon ne semble même pas s’apercevoir de ce manque d’égards et ne se rend absolument pas compte que, pour les Anglais, il n’est nullement un souverain vaincu mais un criminel de guerre. Pour le notifier au condamné, lord Keith attend l’arrivée de sir Henry Bunburry, secrétaire d’État à la Guerre. Tous deux annonçent enfin à l’Empereur leur visite pour le surlendemain, lundi 31 juillet.
Et la longue attente commence. Le samedi, il pleut toute la journée. Ensuite, jamais dimanche anglais ne parut plus long et plus pesant que celui du 30 juillet. Napoléon passe sa journée
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