Napoléon
belle saison – accueillent leurs hôtes avec infiniment de gentillesse. Napoléon visite la demeure – cinq petites pièces et de nombreuses dépendances où vivront un jour, entassés, ses officiers et ses domestiques. Il écoute l’amiral lui parler des travaux et des agrandissements qu’il a envisagés.
Pourtant, l’Empereur s’étonne : pourquoi ne lui donne-t-on pas comme résidence Plantation-House, un château d’une vingtaine de pièces – le Castle en comptera même trente après l’installation d’Hudson Lowe. La demeure possède une belle réception luxueusement meublée – elle l’est toujours – et entourée d’un beau et grand parc de quatre-vingt-dix hectares. C’est là que séjourne le gouverneur et il parut inconvenant à l’amiral – comme plus tard à Hudson Lowe – que le prisonnier puisse être mieux logé que le geôlier. Par ailleurs – mais Napoléon l’ignore encore –, toute la région au sud-est de l’île, autour de la Montagne Bleue est tantôt d’une sauvage beauté, tantôt si verdoyante et vallonnée qu’elle rappelle les contreforts du Jura. Mais – et cela seul compte pour les Anglais – Longwood, plateau aride ceinturé de ravins, situé non loin du camp, peut être facilement surveillé. On réalise encore mieux ces défenses naturelles lorsqu’on peut, comme je l’ai fait, survoler Longwood en hélicoptère. Le domaine est une manière de presqu’île. De la maison du « général » aucune évasion ne serait possible. Et cela seul comptait ! Placer Napoléon ailleurs qu’à Longwood ne fut – et ne sera jamais – envisagé sérieusement par les Anglais.
En descendant vers Jamestown, Napoléon remarque, à sa gauche, à mi-pente de la montagne, non loin d’une cascade, une charmante maison au toit rouge, blottie au milieu de cyprès, de palmiers bananiers, de grenadiers et de lauriers. Le jardin semble rempli de fleurs. Cockburn, interrogé, renseigne son prisonnier : ce sont les Briars – les Églantiers – demeure de William Balcombe et de sa famille. L’Empereur souhaite pouvoir visiter la propriété et les cavaliers s’engagent dans l’allée de figuiers et d’eucalyptus quiconduit à la maison. La petite Betsy les regarde s’avancer, le coeur battant. « J’ai encore présente à la mémoire, avec une netteté extraordinaire, écrira-t-elle plus tard, l’impression de terreur, mêlée d’admiration, que j’éprouvai en contemplant celui qu’on m’avait tant appris à redouter... Napoléon faisait un effet imposant et noble ; on ne soupçonnait pas, à le voir ainsi, la médiocrité de sa stature. »
Les présentations faites, Napoléon admire le jardin joliment fleuri. En face de l’habitation, un court chemin en lacets rocailleux, bordé de géraniums, conduit à un petit pavillon coiffant une légère éminence. Son double toit lui donne l’apparence d’un kiosque chinois. C’est la salle de jeu des enfants. Lorsqu’il pleut, la famille l’utilise pour prendre le thé. Au lieu de regagner la bruyante maison Porteous, pourquoi, en attendant que Longwood soit prêt à le recevoir, ne pas s’installer dans cette maisonnette ? Bien vite sont balayées les objections de Mrs Balcombe : le logement n’a qu’une pièce principale {59} surmontée d’une soupente ! Napoléon, en campagne, a connu bien pire ! L’amiral s’incline. Tandis que Bertrand regagne Jamestown, Napoléon interroge la jolie petite Betsy qui parle couramment le français :
— Quelle est la capitale de la Russie ?
— Aujourd’hui Saint-Pétersbourg, autrefois Moscou.
À ce dernier nom, Napoléon se lève brusquement et fixe la fillette « de ses yeux vifs » :
— Qui l’a brûlé ?
« Je restai muette, l’altération soudaine de ses traits et de sa voix venait de me rendre toute ma frayeur ! »
— Je ne sais pas, Monsieur, balbutie-t-elle.
— Mais si, mais si, vous le savez parfaitement, c’est moi qui l’ai brûlé.
— Je crois, Monsieur, que ce sont les Russes qui ont incendié la ville pour en chasser les Français.
Marchand et Ali viennent s’installer aux Briars. Napoléon ne veut avoir près de lui que Las Cases, et désire reprendre dès le lendemain la dictée de ses Mémoires. Las Cases, sitôt prévenu, se hâte d’accourir de la ville. « Tout en gravissant les contours du monticule, qui sont très rapides, dira-t-il, je l’aperçus en effet de loin et le contemplai. C’était bien lui,
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