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Napoléon

Napoléon

Titel: Napoléon Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: André Castelot
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pic de Diane, son frère jumeau l’Actéon, le Barn et le Flagstaff {56} sont coiffés de nuées grises. De sombres nuages découragés demeurent comme accrochés à leurs flancs déchiquetés. Tout ruisselle d’eau {57} .
    J’ai regardé, à mon tour, accablé, cette image qui dépasse en désolation ce que j’avais imaginé. Lorsque le ciel se dégage et que l’on peut – comme je l’ai réalisé en hélicoptère – partir vers le large et découvrir l’île par l’est, ainsi que le faisaient autrefois les navigateurs, Sainte-Hélène devient la « forteresse pyramidale » décrite par les Instructions nautiques et prend, selon les heures, un aspect farouche et même terrifiant. Le soleil et les ombres d’un bleu d’encre soulignent impitoyablement les découpes puissamment dentelées et les effroyables éboulis de rochers. La montagne semble sucée jusqu’à l’os par la pluie... On devine, vers le sud, le tracé acéré du cratère de l’ancien et colossal volcan dont la moitié s’est effondrée dans l’océan. Quelques morceaux, en un chaos cyclopéen – tel le pic de Lothe – le Lot’s Wife – et les oreilles d’âne – The Asse’s ears – se dressent au-dessus des vallées ou, encore, émergent de la mer. Les récifs tout voisins de White Bird, de Robert Rock et de Speery, sont là pour en témoigner. Parfois en janvier et en février – pendant la plus grande partie de l’été austral – la tempête s’élève, le vent souffle en rafales et les rouleaux de l’Océan se brisent avec un fracas assourdissant. L’impression est de nos jours encore plus désolante. Sainte-Hélène n’est plus « l’Auberge de l’Océan », importante escale entre l’Europe et l’Asie. Autrefois douze cents navires s’y arrêtaient chaque année pour se ravitailler et il n’était pas rare de voir plusieurs dizaines de vaisseaux ancrés à la fois dans la rade. À notre époque, maintenant que le service régulier a été supprimé, on ne compte plus que deux ou trois bateaux par mois, qui viennent apporter le ravitaillement indispensable pour faire vivre une population sous-alimentée. Les indigènes ne mangent de la viande que de temps en temps et, faute de combustible – Sainte-Hélène a été fâcheusement déboisée – font cuire leurs aliments et chauffer leur thé avec de la bouse de vache séchée... Les habitants descendent des anciens esclaves – malgaches, malais, hindous et chinois – et, de ces accouplements est née une race aux traits épatés, aux yeux bridés et à la peau tirant vers le rouge.
    Sainte-Hélène a été tuée, d’abord, par l’ouverture du canal de Suez, ensuite, par les vastes chambres frigorifiques des navires qui leur permettent une grande autonomie. Un cargo se rendant du Cap à Londres mettra cinq jours de plus s’il lui prend l’étrange fantaisie d’aller jeter l’ancre devant Jamestown. Pas un avion ne se déroute même pour aller survoler ce caillou sans aéroport et perdu hors de toutes routes maritimes ou aériennes.
    L’Empereur regarde toujours.
    Entre deux gigantesques pans de lave ocre-rouge, couronnés d’une herbe pauvre et jaunâtre, dans une faille étroite, il devine une manière de village. Un clocher, des toits goudronnés, quelques touffes de palmes, enfin, une bâtisse sinistre baptisée château : c’est Jamestown, la capitale du rocher. Et partout – il les voit dans sa lunette – partout, trouant le roc, crénelant les crêtes, surplombant le vide, tapies dans les anfractuosités, rasant la mer, des gueules de canon.
    À quelques pas, « les individus » mentionnés par le Record Book, les compagnons de l’Empereur, anéantis, épouvantés, la gorge serrée par l’angoisse, guettent le visage de leur maître. Mais, inaccessible, dédaigneux, il ne souffle mot et descend vers sa cabine. Il ne confiera pas non plus ses impressions à Las Cases, venu comme chaque matin travailler avec lui. Peut-être est-il gêné de voir que son orgueil et son désir de bien terminer sa légende ont entraîné ses fidèles vers une telle résidence.
    À midi, après être resté en panne depuis la veille, le vaisseau approche encore de l’île. Napoléon se trouve alors avec Gourgaud. Par le hublot, il jette un coup d’oeil vers la roche gigantesque remplissant maintenant tout l’horizon.
    — Ce n’est pas un joli séjour ! s’exclama-t-il. J’aurais mieux fait de rester en Égypte, je serais à présent empereur de

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