Napoléon
l’Empereur et ses compagnons ont été conduits à deux cents mètres du rempart, à la maison Porteous où, après avoir gravi les huit marches d’un perron, ils se trouvent entassés dans de petites pièces. On devine leur découragement : le cadre respire une lamentable médiocrité. L’amiral, lui, est allé s’installer au château, mais n’a pas cru devoir y convier l’Empereur. Toute la nuit, Napoléon entend la foule piétiner sous ses fenêtres, il se lève, essaye de lire et la nuit sera prête à s’achever lorsqu’il finira par s’assoupir.
Dès six heures du matin, ce mercredi 18 octobre, l’amiral vient le chercher pour le conduire visiter Longwood, la « maison de campagne qui sera plus tard la résidence du général ». Napoléon n’est pas prêt et Cockburn s’impatiente...
— Monsieur l’Amiral est un grossier personnage, déclare l’Empereur en apprenant que l’Anglais a envoyé son officier d’ordonnance aux nouvelles.
Des chevaux ont été amenés devant la maison. Napoléon saute à cheval et, sans attendre ses compagnons – l’amiral, le grand-maréchal et le mameluk Ali – remonte la rue centrale au grand galop. Mais il doit bientôt s’arrêter et attendre Cockburn : il y a là une bifurcation. L’amiral désigne la rue de gauche – aujourd’hui Napoléon street – et bientôt la ruelle devient chemin abrupt – le Side Path – et s’élève au flanc de la montagne de basalte, séparé de la crevasse où se tapit Jamestown par un petit muret. Enfin, avant d’atteindre le plateau, un dernier tournant en épingle à cheveux, « le tournant où l’on doit mettre son veston », dit-on dans l’île, car la température baisse brusquement ; il fait presque frais. La nature change. La végétation cesse d’être tropicale. Des pins du Chili, des araucarias, des tamaris, couchés par le vent, bordent la route. L’Empereur peut se croire revenu au temps de son enfance. Mais il s’agit ici d’une Corse que des éruptions volcaniques, des tremblements de terre et la foudre auraient déchiquetée et soulevée. Le chemin resserré – un véritable isthme – suit une étroite crête. À droite, une vallée verdoyante où l’on voit quelques habitations. À gauche, un gigantesque entonnoir – Devil Punch Bowl – le Bol à Punch du Diable, le bien nommé !
Des roches noires descendent en un monstrueux éboulis, en une multitude de ravines plantées de pins, jusqu’au fond du gouffre et jusqu’à la mer. Derrière eux, haute sur le ciel, la chaîne de montagnes où se détachent les pics coniques de Diane et d’Actéon. L’Amiral annonce :
— Longwood !
Le long bois ! Mais le bois n’est plus qu’un boqueteau sans ombre et les gommiers ont aujourd’hui totalement disparu. Napoléon a ainsi parcouru plus de huit kilomètres depuis qu’il a quitté Jamestown. Les cavaliers abandonnent la route et passent entre deux pavillons qui flanquent l’entrée d’une allée de mûriers. Enfin de l’ombre ! À l’extrémité du chemin, à six cents mètres, s’étire la maison d’habitation : une ancienne ferme à la façade basse, aux murs ocre rose, aux volets verts et recouverte de papier goudronné que l’ardoise a remplacé.
Lorsqu’on arrive à notre époque à Longwood – et surtout si le soleil veut bien honorer le pèlerinage – la première impression est favorable, la surprise agréable : la maison est entourée de flexibles agapenthes bleus et blancs, d’immortelles, de vrais massifs de géraniums et de bégonias, le jardin est planté d’arbres, pour la plupart des conifères, aujourd’hui si touffus qu’ils cachent le Barn, gigantesque table de granit, et le pic aigu et rocheux du Flagstaff. On ne voit même plus la mer, haute sur l’horizon et que l’on découvrait jusqu’à cinquante milles.
Du temps de l’Empereur la désolation régnait ici en maîtresse incontestée, cependant la première réaction en découvrant sa « prison » n’est pas mauvaise. Napoléon ne se rend pas compte que ce plateau aride doit être souvent éventé. Il ne se doute pas davantage qu’entre Jamestown et Longwood on note fréquemment des différences de quatorze degrés de température, tandis que le climat de l’ouest et celui du sud de l’île est comparable au climat des Canaries ! Ce matin-là, il fait un clair soleil et les habitants de Longwood – le lieutenant-gouverneur Skelton et sa femme qui y résident pendant la
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