Napoléon
l’autre au vent. Tout individu signalant àu large un navire suspect recevra une gratification d’une piastre, il sera alloué à celui qui dénoncera une entorse au règlement une récompense pouvant atteindre vingt-cinq livres. Les instructions des ministres à l’amiral indiquaient que toutes les lettres des prisonniers devaient être remises ouvertes au gouverneur. Ce dernier avait la latitude de joindre, aux éventuelles réclamations formulées par le général, « toutes les observations qu’il jugerait convenables ». Si le proscrit tentait de s’échapper, l’amiral – comme plus tard Hudson Lowe – avait l’ordre formel de jeter l’Empereur en prison.
— Ce sont les angoisses de la mort ! s’exclame le vaincu en prenant connaissance du règlement. À l’injustice, à la violence, ils joignent l’outrage et les supplices prolongés ! Si je leur étais si nuisible, que ne se défaisaient-ils de moi ? Quelques balles dans le coeur ou dans la tête eussent suffi ; il y eût eu du moins quelque énergie dans ce crime !... Faites vos plaintes, Messieurs, que l’Europe les connaisse et s’en indigne ! Les miennes seraient au-dessous de ma dignité et de mon caractère.
Et il ajoute cinq mots portant sa marque :
— J’ordonne ou je me tais !
Puis il dicte cette note que Bertrand devra signer :
« L’Empereur désire, par le retour du prochain vaisseau, avoir des nouvelles de sa femme et de son fils, et savoir si celui-ci vit encore. Il profite de cette occasion pour réitérer et faire parvenir au gouvernement britannique les protestations qu’il a déjà faites contre les étranges mesures adoptées contre lui : le gouvernement l’a déclaré prisonnier de guerre. L’Empereur n’est point prisonnier de guerre... »
Et, sur ce thème, poursuivant sa promenade d’un mur à l’autre de sa cahute, il dicte deux longues pages. Mais Bertrand ne remet pas la lettre à l’amiral Cockburn. Il a peur d’envenimer les rapports déjà tendus entre le prisonnier et son geôlier... Les journées passent et, un jour, apprenant la liberté prise par le grand-maréchal, Napoléon explose. Pourquoi lui a-t-on désobéi ? Bertrand essaye d’expliquer son point de vue.
— Vous n’êtes qu’un niais, s’exclame le proscrit.
— Votre Majesté a bien tort de ne pas croire mes avis... Votre Majesté aurait bien fait d’y croire.
— Aux Tuileries, vous ne m’auriez pas dit cela ! Tout ce que je faisais alors était bien.
Et il ajoute :
— Au reste, le Weymouth apportera bientôt à chacun la permission de partir.
Les officiers protestent.
— Sire, déclare Gourgaud, notre intention, venant à Sainte-Hélène, était de partager le sort de Votre Majesté. Nous ne nous en irons que lorsque l’Empereur nous congédiera.
Bertrand envoie la lettre et Cockburn, par sa réponse, donne raison au grand-maréchal :
« Vous me forcez de vous déclarer officiellement que j’ignore qu’il y ait actuellement un empereur dans cette île, ou que quelque personne possédant ce rang y soit venue avec moi sur le Northumberland, ainsi que vous me le rapportez. J’ai mis et je continuerai à mettre tous mes soins à rendre votre situation, à vous et aux autres officiers de distinction qui vous ont accompagné ici, aussi peu désagréable et pénible que les circonstances me le rendront possible. Je puis vous assurer que je regrette sincèrement que mes efforts vers ce but n’aient pas encore été couronnés de succès... »
Cette affaire du « titre » impérial empoisonnera toute l’existence de Napoléon à Sainte-Hélène. Pour un Français, un souverain ayant abdiqué continue à être appelé Sire et Votre Majesté, et les choses se passeront ainsi pour Charles X, Louis-Philippe et Napoléon III. Il n’en est pas de même en Angleterre.
Nous l’avons vu à notre époque avec Edouard VIII devenu duc de Windsor, et que l’on appelle Monseigneur et Votre Altesse Royale. Dans le cas présent, si les Anglais avaient reconnu le Premier Consul général Bonaparte, ils avaient toujours ignoré l’existence d’un empereur Napoléon alors qu’il avait été sacré par le Pape et couronné roi d’Italie – sans parler de ses autres titres qui l’avaient plus ou moins directement fait régner sur les trois quarts de l’Europe. Pour eux, supprimant vingt ans d’Histoire, le proscrit n’était que « le général Buonaparte ». Tout au plus condescendront-ils à
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