Napoléon
n’en a rien fait. J’ai demandé des livres, ma seule consolation ; neuf mois se sont écoulés, je ne les ai point reçus. J’ai demandé des nouvelles de mon fils, de ma femme, on est demeuré sans me répondre.
Le gouverneur ne sachant que dire, l’Empereur en vient à parler de son habitation misérable. L’agencement des petites pièces, se commandant l’une l’autre, est lamentablement conçu ! Assurément, Longwood n’est pas autre chose qu’une résidence provisoire !... Lowe essaye, mais en vain, d’interrompre le débit.
— Vous et moi sommes soldats, Monsieur, reprend Napoléon ; nous apprécions ces choses ce qu’elles valent. Vous avez été dans ma ville natale, dans ma maison peut-être. Sans être la dernière de l’île, sans que j’aie à en rougir, vous avez vu toutefois le peu qu’elle était. Eh bien, pour avoir possédé un trône et distribué des couronnes, je n’ai point oublié ma condition première : mon canapé, mon lit de campagne que voilà, me suffisent !
Peu perspicace, ne comprenant pas grand-chose à la personnalité de l’homme qu’on lui a donné à garder, sir Hudson saisit mal les raisons qui poussent son prisonnier à se « débonder » de la sorte :
— Est-ce que dans mon ignorance, j’ai commis vis-à-vis de vous, Monsieur, quelque faute ?
— Non, Monsieur, reconnaît l’Empereur, nous ne nous plaignons de rien depuis votre arrivée !
Une seule chose a révolté le déporté : l’inspection des domestiques, cette manière de se mettre entre son valet de chambre et lui ! Inconscient, Lowe s’incline et prend congé.
— Quelle ignoble et sinistre figure que celle de ce gouverneur ! s’exclame le prisonnier lorsque le geôlier eut quitté Longwood. Dans ma vie, je ne rencontrerai jamais rien de pareil !
Durant cette seconde entrevue, Hudson Lowe a été un lourdaud maladroit, mais ne s’est pas départi de sa correction, cependant Napoléon l’accuse d’être capable de l’empoisonner :
— C’est à ne pas boire sa tasse de café si on avait laissé un tel homme un instant auprès.
Dix jours plus tard éclate une nouvelle scène. Le gouverneur vient communiquer à son prisonnier les instructions de son gouvernement : le « général » doit être vu chaque jour par un officier anglais, le « général » ne peut sortir des limites sans être accompagné... et Napoléon explose :
— Depuis un mois que vous êtes ici, vous m’avez ôté toute confiance en vous. En apprenant votre arrivée, je me félicitais de me trouver vis-à-vis d’un général de terre qui, ayant été mêlé aux grandes affaires du continent, saurait n’employer vis à-vis de moi que les mesures dictées par les convenances. Je me suis grossièrement trompé. Vous m’offrez, dites-vous, tout l’intérieur de l’île pour me promener, mais vous savez bien que l’obligation d’être accompagné par un de vos officiers fait de votre offre une dérision. Quand des soldats ont reçu le baptême du feu, ils sont tous les mêmes à mes yeux, quelle que soit la couleur de leur uniforme, et ce n’est point l’habit rouge de vos officiers qui me serait importun ; mais c’est que je ne puis reconnaître par aucun de mes actes que je suis votre prisonnier.
Hudson Lowe – et ceci plaide en sa faveur – avait transmis à ses chefs la « répugnance » de l’Empereur à être accompagné par un officier anglais lorsqu’il voulait franchir les limites qui lui avaient été assignées. Mais lord Bathurst avait répondu : « Non seulement le général Bonaparte doit être constamment accompagné par un officier anglais lorsqu’il dépasse ses limites, mais cet officier doit avoir l’ordre d’empêcher, autant que possible, toutes les relations que le général Bonaparte paraît disposé à entretenir avec les habitants. »
Assurément Lowe fut loin d’être l’affreux bourreau peint par la légende napoléonienne. À travers les récits des témoins on se rend compte que les torts viennent souvent de Longwood. Pour l’Histoire, Napoléon doit être persécuté. On l’entendra dire un jour :
— Jésus-Christ ne serait pas Dieu jusqu’à présent sans sa couronne d’épines ; c’est son martyre qui a parlé à l’imagination des peuples. Si, au lieu d’être ici, j’étais en Amérique comme Joseph, on ne penserait plus à moi et ma cause serait perdue. Voilà les hommes !
« Selon moi, avoue Gourgaud avec
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