Napoléon
donc eu une fois de l’esprit... Au demeurant l’amiral y a gagné sans doute, je n’eusse pas manqué de l’apostropher en présence de tous ses compatriotes : je lui eusse reproché de m’avoir débarqué à Sainte-Hélène comme un galérien de Botany-Bay ; je lui eusse dit que pour un véritable homme d’honneur, je devais être plus vénérable sur un roc que sur mon trône au milieu de mes armées.
Napoléon a défendu à son entourage de signer la déclaration exigée par lord Bathurst et dicte ce nouveau texte : « Nous soussignés, voulant continuer de rester au service de l’empereur Napoléon, consentons, quelque affreux que soit le séjour de Sainte-Hélène, à y rester, en nous soumettant aux restrictions, quoique injustes et arbitraires, qu’on a imposées à sa Majesté et aux personnes de son service. »
Tous acceptent de signer, mais le conflit – le premier – nait entre le prisonnier et son geôlier. Hudson Lowe, à l’instar de l’amiral, refuse que la déclaration contienne une quelconque qualification impériale. Les Français – non sans soupirs et protestations, non sans avoir essayé de négocier avec le gouverneur – signent enfin un texte préparé par ce dernier, dans laquelle le prisonnier est nommé Napoléon Bonaparte. Second conflit : Hudson Lowe, étonné du dévouement témoigné unanimement par la suite de l’Empereur, veut interroger lui-même les domestiques afin de savoir si aucun d’eux n’a signé sous la contrainte. Il demeure persuadé que Montholon – chef de la maison – les a influencés. Il doit se rendre à l’évidence et, en sortant de Longwood, après s’être livré à cette besogne de bas policier, il déclare :
— Je suis content à présent, je puis mander à mon gouvernement que tous ont signé de plein gré et de leur bonne volonté.
Sur ces entrefaites arrive enfin à Longwood la Convention signée entre les puissances alliées « sur les mesures les plus propres à rendre impossible toute entreprise » de la part de « Napoléon Bonaparte contre le repos de l’Europe ». Le vaincu de « Waterloo y est déclaré prisonnier des puissances, dont la garde est « spécialement confiée au souverain britannique », mais l’Autriche, la Russie et même la France devront envoyer chacun un commissaire dans l’île.
— On dit que les souverains ont disposé de ma personne par un traité, s’exclame Napoléon. De quel droit ? Je suis leur égal et j’ai souvent été leur maître ! Je ne suis point leur prisonnier !
Du temps où ils rampaient devant lui, ils lui avaient envoyé des lettres adulatrices et d’une rare platitude.
— Vous les publierez, dira-t-il à O’Meara, pour couvrir de honte ces souverains et pour manifester à la face du monde entier l’hommage abject que m’ont rendu ces vassaux quand ils me demandaient des faveurs et qu’ils me suppliaient pour leurs trônes {60} .
C’est auprès de Lowe que Napoléon proteste, et le gouverneur incline la tête en signe d’approbation. Lui aussi estime que « le général Bonaparte » est le prisonnier de la seule Angleterre.
Depuis huit jours, le mauvais temps et la lassitude ont empêché Napoléon de sortir. Pour cette seconde entrevue, l’Empereur reçoit son visiteur en robe de chambre, étendu sur le canapé de sa chambre à coucher :
— J’ai été chercher un asile dans un pays auquel on croyait des lois toutes-puissantes, chez un peuple dont pendant vingt ans j’avais été le plus grand ennemi. Vous autres, qu’avez-vous fait ?...
Il a quitté sa chaise longue et, selon son habitude, arpente la petite pièce. Le vent souffle en bourrasque et fait trembler la maison ; la pluie fouette les carreaux des deux fenêtres à guillotine.
— On m’a placé dans la partie de l’île la plus malsaine, toujours du vent, des brouillards. Le climat n’est pas le nôtre, ce n’est ni notre soleil, ni nos saisons. Tout ici respire un ennui mortel ! La position est désagréable, insalubre ; il n’y a point d’eau ; ce coin de l’île est désert, il a repoussé ses habitants !
Hudson Lowe fait timidement remarquer que son gouvernement fait tous ses efforts pour adoucir la situation « du général ».
— Ces efforts se réduisent à bien peu de chose, s’écrie le prisonnier : j’ai prié qu’on m’abonnât au Morning Chronicle et au Statesman pour lire la question sous les expressions les moins désagréables ; on
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