Napoléon
voulait en interdire l’entrée. Quelques secondes plus tard, Montholon revient : Sa Majesté est souffrante et n’est pas encore levée. Lowe s’étonne. N’a-t-il pas fait annoncer sa visite ? Il se permet d’insister. Et Montholon de répondre que l’indisposition de l’Empereur rend toute insistance inutile. Il ne reste plus à Hudson Lowe que d’aller témoigner son mécontentement à Hufs Gâte, demeure, rappelons-le, du grand-maréchal Bertrand, tandis que de l’antichambre, derrière les persiennes closes, le prisonnier essaye de distinguer les traits de son nouveau gardien.
La visite est fixée d’un commun accord au lendemain à quatre heures. Montholon le rapporte à l’Empereur : il a trouvé le nouveau gouverneur « froid et sévère, mais pas méchant ». Bertrand précise que Lowe, son mécontentement calmé, a paru « très fâché d’avoir fait une fausse démarche ». Cependant il n’a pas remis au lendemain le soin, pour ne pas dire le plaisir, de transmettre au grand maréchal les nouvelles instructions de lord Bathurst : officiers et serviteurs devront s’engager par écrit à se soumettre à toutes « les restrictions qu’il est nécessaire d’imposer à Napoléon Bonaparte personnellement ». Ceux qui refuseraient seraient embarqués pour l’Europe, via le Cap.
Aussitôt, toute la maison s’agite.
— Eh bien, vous savez la nouvelle, annonce Napoléon au général Gourgaud ? Il faut aller au Cap ou s’engager à suivre mon sort à perpétuité.
— Il ne manquait plus que cela pour compléter l’horreur de notre situation, s’exclame le jeune officier d’ordonnance. On veut donc nous ôter l’espérance de jamais revoir nos familles !
Et il note dans son Journal : « Le dîner est des plus tristes. »
Le lendemain, à quatre heures, a lieu la première entrevue, mais lorsque l’amiral veut suivre sir Hudson à qui Noverraz a ouvert la porte du salon, le valet de pied lui referme cette porte au nez et affirme avec assurance qu’il n’a reçu l’ordre que d’introduire le nouveau gouverneur. On devine la fureur de Cockburn.
« Je trouvai Bonaparte debout, son chapeau à la main, a raconté Hudson Lowe. Comme il ne m’adressa pas la parole lorsque j’entrai et qu’il paraissait attendre que je lui parlasse, je rompis le silence en disant :
— Je suis venu Monsieur, pour vous présenter mes devoirs.
— Vous parlez français, Monsieur, à ce que je vois, répondit Napoléon. Mais vous parlez aussi italien. Vous avez commandé un régiment corse.
— Oui, Monsieur.
— Aimez-vous les Corses ? Ils portent des poignards ! Ne sont-ils pas méchants ?
— Ils ne portent pas de stylets. Ils ont perdu cette habitude à notre service. Ils se conduisaient toujours très bien. J’étais fort content d’eux.
L’Empereur sourcille à peine... Lowe ayant servi en Égypte – toujours à la tête des Corsican Rangers – la conversation s’engage sur ce nouveau terrain.
— Menou était un homme faible, remarque Napoléon. Si Kléber eût été là, vous eussiez tous été faits prisonniers.
Puis le ton devient plus familier. Hudson Lowe ne s’est-il pas marié avant de quitter l’Angleterre ?
— Ah ! vous avez votre femme ? Vous êtes un homme heureux !
Près de Lady Lowe, le gouverneur connaît-il le bonheur ? Elle aime un peu trop la boisson, paraît-il, prend du plaisir à jouer à la souveraine, refuse de se promener sans avoir un officier caracolant à sa portière. Elle est l’auteur d’un toast dont elle n’est pas peu fière :
Dieu sauve le Roi
Dieu sauve la Reine
Dieu damne le Voisin.
Le Voisin, c’est Napoléon.
Le prisonnier reprend :
— L’île de Sainte-Hélène vous plaît-elle ?
— Je n’y suis pas depuis assez longtemps, répond sir Hudson avec prudence, pour me former une opinion à cet égard.
Assurément, Lowe qui a vécu dans les îles méditerranéennes ne peut trouver Sainte-Hélène un plaisant séjour.
Une dernière question :
— Depuis combien d’années êtes-vous au service ?
— Vingt-huit.
— Je suis donc un peu plus vieux soldat que vous.
Lowe risque un compliment :
— L’Histoire parlera de nos services d’une manière bien différente.
« Il sourit, mais ne dit rien », rapportera encore sir Hudson.
Le gouverneur parti, en apprenant l’affront fait à l’amiral, Napoléon se frotte les mains.
— Ah ! mon bon Noverraz, s’exclame-t-il, tu as
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