Napoléon
Général » l’en eût empêché. Il n’en répond pas moins :
— Je suis venu, Monsieur, exprès pour vous l’annoncer. Il ne me sera pas difficile de répondre à votre seconde question. S’il y a quelque terrain particulier sur lequel vous préféreriez qu’on élevât cette maison, je l’examinerai, et je l’y ferai élever si je n’y vois pas d’objection ; je vous en ferai part. C’était pour combiner cette affaire, en quelque sorte de concert avec vous, que je suis venu aujourd’hui.
— Dans ce cas, vous auriez mieux fait d’en parler au grand-maréchal et de décider cela avec lui.
— Je préfère, Monsieur, que ce soit avec vous. Je vois qu’il arrive tant de mésintelligences, lorsque je recours à l’intermédiaire d’autres personnes...
Ici aussi Lowe a raison. La susceptibilité de la suite de l’Empereur est encore plus grande que celle de leur maître. Selon son habitude, Napoléon, ne trouvant aucun motif pour se plaindre dans la proposition énoncée par le gouverneur, va changer brusquement de sujet. « Il ne me fit point de réponse précise, raconte encore Lowe, il se promena dans le salon pendant un moment, puis, se préparant visiblement à dire quelque chose qu’il pensait devoir me frapper extraordinairement de surprise ou d’effroi, il reprit :
— Voulez-vous que je vous dise la vérité, Monsieur ?
Et devant le silence de sir Hudson, Napoléon précise :
— Oui, Monsieur, voulez-vous que je vous dise la vérité ? Je crois que vous avez les ordres de me tuer !... Oui, de me tuer ; oui, Monsieur, vous avez les ordres de faire tout, tout !
— Vous avez observé, Monsieur, dans la dernière entrevue que j’ai eue avec vous, que vous aviez mal calculé l’esprit du peuple anglais ; vous calculez aussi mal à présent l’esprit d’un militaire anglais.
Lowe, après avoir quitté l’Empereur, fulmine devant Bertrand :
— C’est un homme avec qui il est impossible de traiter aucune affaire. Il a commandé, il veut que les choses se fassent toujours comme il veut et précisément comme il l’entend. Il a fait une Espagne imaginaire, une Angleterre imaginaire. Il veut faire une Sainte-Hélène imaginaire.
De son côté, sa colère tombée, Napoléon constate :
— C’est un homme désagréable en tout. Même dans les choses où il veut être obligeant. Il m’a envoyé deux douzaines de paires de bas de soie. Sûrement c’était une attention. Mais tout est offert de si mauvaise grâce que s’il venait m’annoncer qu’il a ordre de me conduire à Toulon pour me faire remonter sur le trône, il aurait le talent de rendre cela désagréable au premier moment.
Une nouvelle scène éclate le 16 juillet entre les deux hommes :
— Tous les jours des vexations inutiles ! lance Napoléon en accueillant le gouverneur. M. de Las Cases envoie un soulier à M. Balcombe pour qu’on lui fasse faire en Angleterre une paire de bottes. Vous avez fait renvoyer le soulier en disant qu’il fallait vous l’envoyer directement. Je ne comprends pas qu’il faille vous envoyer de vieilles savates, comme s’il ne suffît pas qu’on vous en informe.
— On a méchamment interprété mes intentions.
— Votre conduite sera un objet de reproche pour votre nation et votre gouvernement... Voulez-vous que je vous dise notre opinion sur votre compte ? C’est que vous êtes capable de tout et de nous donner la ciguë. Le grand-maréchal pouvait donner des passes. Aujourd’hui, il ne peut plus. Ainsi je ne puis inviter personne à dîner, et si j’avais une maîtresse, je ne pourrais la faire venir.
— Vous n’en avez pas.
— Mais je puis en avoir.
— Oh ! je rendrai compte de cela au gouvernement.
— Mais il ne s’agit pas de cela. Le gouvernement n’a pas envoyé ici un caporal. L’Angleterre a envoyé un lieutenant-général, et c’est à lui à savoir se conduire. Vous êtes un homme qui avez ici une vengeance à exercer sur nous.
Et, de nouveau, Napoléon énumère tout ce qu’il reproche à son geôlier, puis il conclut – et, cette fois, le reproche est juste et bien imagé :
— Vous nous mettez des épingles dans le dos !
Il y avait à Sainte-Hélène – latent – un autre drame : celui des dépenses – et ce drame va porter le conflit au paroxysme. À Longwood le coulage est extravagant. Les domestiques se croient toujours aux Tuileries et revendent une partie des denrées. Aussi le gouverneur
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