Napoléon
les actions d’enfant que j’ai commises ? »
— Ai-je donc compromis ou fait humilier Votre Majesté, demande-t-il, presque en larmoyant, à l’Empereur ? J’ai dix-huit ans de service, treize campagnes, trois blessures, et il m’est bien dur après tout ce que j’ai fait uniquement par attachement, d’être ainsi traité, de n’être qu’un souffre-douleur !
« Enfin, avoue-t-il, je suis en colère. L’Empereur cherche à me calmer, je me tais ; et nous passons au salon. Sa Majesté veut jouer aux échecs, mais elle pose les pièces tout de travers ; Elle me parle avec douceur :
— Je sais bien que vous avez commandé des batteries, des troupes, mais vous êtes encore bien jeune.
« Je ne réponds que par un silence triste. L’Empereur me fait jouer avec lui aux échecs... À dix heures, coucher ».
Personne n’en veut au jeune et brillant artilleur, sorti à dix-huit ans de Polytechnique, nommé seulement général de brigade après Waterloo... mais il se croit haï. Très orgueilleux, il désire être aimé, mais les captifs s’aiment tous trop eux-mêmes pour avoir le goût et les loisirs de s’occuper de l’irritable officier d’ordonnance. Quant à l’Empereur, il aime Gourgaud avec tyrannie – et les sentiments que lui porte le jeune général l’agacent :
— Je ne suis pas sa femme, s’exclame un jour l’exilé, je ne peux tout de même pas coucher avec lui !
Napoléon lui rend souvent la vie assez dure. Il est même cruel pour lui :
— Vous êtes fou de tant aimer votre mère, lui explique-t-il. Est-ce que vous croyez que je n’aime pas la mienne ? Mais il faut être raisonnable. A chacun son tour. Quel âge a-t-elle ?
— Soixante-sept ans, sire.
— Parbleu, vous ne la reverrez plus ; elle mourra avant que vous retourniez en France.
« Je pleure », écrit Gourgaud dans son Journal.
À la moindre attention de l’Empereur pour Montholon ou pour Bertrand, Gourgaud se renfrogne. Pour le consoler, Napoléon a beau l’appeler Gorgo, Gorgotto, lui pincer l’oreille ou les joues, le malheureux ressasse sa peine, sa rancoeur, ses éternels motifs de jalousie...
— Vous avez cru en venant ici, lui explique le proscrit, être mon camarade, je ne le suis de personne. Personne ne peut prendre d’empire sur moi. Vous voudriez être le centre de tout ici, comme le soleil au milieu des planètes. C’est moi qui dois être le centre. Vous m’avez causé tous mes soucis depuis que nous sommes ici ; si j’avais su, je n’aurais amené que des domestiques ; je puis fort bien vivre tout seul et puis quand on est par trop las de la vie, un coup de poignard est vite donné. Si vous êtes mal, plutôt que 1 de chercher querelle à M. de Montholon, vous pouvez nous quitter.
Il précise d’ailleurs quelques jours plus tard :
— Certainement, j’aimerais mieux vous voir vous en aller qu’eux...
Gourgaud jalouse à un point extrême les Montholon, et prétend que Napoléon « verse du miel sur eux » et « du vinaigre sur lui ». Son collègue n’est qu’un chambellan, c’est-à-dire un soldat d’antichambre ! Montholon a pourtant servi à l’état-major de Berthier et a commandé le département de la Loire en 1814, mais Gourgaud n’en hausse pas moins les épaules. Lui qui est entré le premier au Kremlin, et qui rappelle – un peu trop souvent au gré de Napoléon qui refuse de s’en souvenir – avoir sauvé l’Empereur le soir de la bataille de Brienne en tuant un Cosaque qui s’élançait sur lui.
— Que Votre Majesté fasse habiller M. de Montholon en rouge et si, moi, je conserve mes fonctions d’officier d’ordonnance, je n’en serai point jaloux. Dans l’armée, moi, général d’artillerie, je n’aurais jamais obéi à M. de Montholon.
L’Empereur, excédé, finira par lui dire :
— Détestez-vous si vous voulez dans l’âme, mais que je n’en voie rien et que personne ne s’en aperçoive ; l’essentiel est de m’égayer.
L’attitude de Mme de Montholon énerve Gourgaud au paroxysme. D’après lui, la blonde Albine au regard bleu fait à l’Empereur « yeux doux, pieds en avant, robe pincée à la taille ; enfin, ajoute-t-il, elle cherche à faire la belle, et ce n’est pas facile... elle ouvre son fichu et laisse voir sa peau ridée. » « Sa Majesté fait accueil à la Montholon, écrit-il un autre jour, et lui pince les... » Le jeune général est, en effet, persuadé que « la
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