Napoléon
roi de Rome ne pense pas plus à moi qu’à...
S’il avait su ! S’il avait appris la lutte menée par son petit roi de cinq ans. Mais il paraît ne pas avoir connu l’abandon de Marie-Louise partie pour Parme, et ne revenant à Vienne que pour de brefs séjours tous les deux ou trois ans, entre deux naissances de bâtard ou entre deux fausses couches. Le proscrit ignore aussi le renvoi de tous les Français qui entouraient son fils.
— Quelle éducation lui donnera-t-on ? dit-il à Las Cases. De quels principes nourrira-t-on son enfance ? Et s’il allait avoir la tête faible ! S’il allait tenir « des légitimes » ! Si on allait lui inspirer l’horreur de son père ! li est profondément affecté.
— Mais parlons plutôt d’autre chose...
« Et il n’a parlé de rien... », conclut Las Cases.
Sans doute, au début de l’exil, Napoléon – le commediante – construisant sa légende avec un art consommé, jouait-il quelque peu au père malheureux à qui on a arraché son fils. Il n’a pas de nouvelles de lui ! On se refuse à lui en donner ! Un commissaire autrichien est envoyé dans l’île et n’apporte aucun message du grand-père pour le père de l’enfant ! Le beau thème pour attendrir l’opinion venait s’ajouter à toutes les « ignominies » dont on l’accablait ! Cependant il ne tarde pas à réellement souffrir. La pensée de ne plus revoir son fils, le manque total de nouvelles, lui font venir les larmes aux yeux. Il s’attarde de longues heures devant le dessin, dont il avait rédigé lui-même l’inscription pendant la campagne de 1814 : « Je prie Dieu pour mon père et pour la France ! » Il est bouleversé en regardant le petit canon de bronze, jouet de l’enfant retrouvé à Paris et qu’il a emporté dans ses bagages. Avec quelle émotion il accueille la mèche de cheveux que Chanchan – la mère de Marchand – lui a fait parvenir. Ces cheveux avaient été apportés par un jeune botaniste viennois chargé d’herboriser à Sainte-Hélène. Il se nommait Welle et était arrivé dans l’île avec le commissaire autrichien Stürmer. Les cheveux se trouvaient placés dans une lettre adressée à son fils par l’ancienne berceuse du roi de Rome, avec ces mots : « Je t’envoie de mes cheveux. Ta mère, Marchand. » Mme Marchand était brune et il n’y avait aucune hésitation possible : la boucle était blonde et soyeuse. Assurément, c’étaient là des cheveux du roi de Rome. Hudson Lowe, ayant tout découvert, avait renvoyé Welle en Europe.
— J’ai appris, confia l’Empereur à O’Meara, le 28 février 1817, que le botaniste est sur le point de partir sans que je l’aie vu. Dans les contrées les plus barbares, on ne refuserait pas même à un prisonnier condamné à mort la consolation de converser avec une personne qui aurait vu depuis peu sa femme et son enfant... Les anthropophages des mers du Sud n’en feraient pas autant : avant de dévorer leurs victimes, ils leur permettent de se voir et de converser ensemble...
Combien de fois la pensée du proscrit ne se tournait-elle pas vers le prisonnier de Metternich ! Ali l’entendra répéter à plusieurs reprises les vers d’Andromaque :
Je passais jusqu’aux lieux où l’on garde mon fils.
Puisqu’une fois le jour vous souffrez que je voie
Le seul bien qui me reste et d’Hector et de Troie,
J’allais, Seigneur, pleurer un moment avec lui.
Je ne l’ai point encore embrassé aujourd’hui.
« Il accentuait chaque mot du dernier vers avec un certain sentiment de tristesse. »
Le sort d’Astyanax le hante. Il repousse les projets de fuite que l’on vient lui proposer. Il doit demeurer sur son rocher... et y mourir :
— Il vaut mieux pour mon fils que je sois ici. S’il vit, mon martyre lui vaudra une couronne !... Si je meurs sur la croix – et s’il est encore en vie – il parviendra au trône.
Avec une prescience extraordinaire, il annonce à ses compagnons :
— Le roi de Rome sera l’homme des peuples, il sera celui de l’Italie ; aussi la politique autrichienne le tuera.
Metternich supprimera, en effet, le roi de Rome – remords vivant de sa politique – non en lui donnant du poison, mais en l’empêchant de quitter les marécages viennois du Danube, pour aller guérir ses poumons à l’air pur des Alpes ou – thérapeutique de l’époque – au chaud soleil de Naples. Au lendemain de l’insurrection de 1831, la présence du fils
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