Napoléon
Montholon », comme il l’appelle, a des bontés pour l’Empereur et que le mari, complaisant par admiration et par intérêt, ferme les yeux.
— Bah ! les femmes, lui a pourtant dit Napoléon, quand on n’y pense pas, on n’en a pas besoin !
« Comment fait Sa Majesté ? écrit Gourgaud qui appelle parfois une négresse de Jamestown ; les nuits sont longues. » Le jeune général prend un malin plaisir à annoncer au comte de Montholon que sa femme se trouve chez l’Empereur à sept heures et demie du matin et que, précise-t-il perfidement : « Sa Majesté la reçoit en déshabillé !... » La séduisante et svelte Albine, avant d’épouser son amant Montholon, a mené une existence quelque peu agitée. C’est une coquette adroite. Un portrait peint dix années auparavant, il est vrai, nous la montre bien séduisante. A-t-elle été la maîtresse du jeune lieutenant anglais Jackson de l’état-major de Lowe ? On ne sait, mais on l’affirme dans l’île. Que fut-elle au juste pour Napoléon ? Faute de preuves, l’historien se doit, en cette matière, d’être prudent... Albine racontait qu’on lui avait prédit « qu’elle serait reine sans l’être », et, à propos de Mme de Montholon, l’Empereur déclara un jour :
— Ici, il faudrait faire sa société d’une perruche si on n’avait pas autre chose.
Et il s’exclame même :
— Et quand je coucherais avec elle, quel mal y aurait-il ?
— Aucun, Sire, répond Gourgaud, mais je n’ai jamais rien dit à Votre Majesté de cela. Je ne suppose pas que Votre Majesté ait un goût aussi dépravé.
Ce jour-là, d’ailleurs, lai scène entre l’Empereur et son officier d’ordonnance est atroce. Gourgaud veut se battre avec Montholon.
— Je vous défends de menacer Montholon, je me battrais pour lui, si vous-même... je vous donnerai ma malédiction !
— Sire, je ne puis me laisser maltraiter sans m’en prendre à l’auteur... c’est le droit naturel... je suis plus malheureux que les esclaves, il y a des lois pour eux, et pour moi il n’y a que celles du caprice. Je n’ai jamais fait de bassesse et n’en ferai jamais.
— Voyons, si vous vous battez, il vous tuera !
— Eh bien, Sire, j’ai toujours eu pour principe qu’il vaut mieux mourir avec honneur que de vivre avec honte.
Napoléon, agacé, se laisse emporter et injurie presque Gourgaud qui, étouffé par le chagrin, soupire :
— Votre Majesté a tort de tant me maltraiter.
Alors on voit l’Empereur profondément malheureux. Et l’on devine presque le son de la voix du proscrit dans le texte rapporté par Gourgaud : « Sa Majesté me demande ce que je veux... Passer avant Montholon ?... Qu’Elle dîne toujours avec nous ?... La voir deux fois par jour ? Aigri, je répète qu’un assassin, un brigand ne doit rien demander. Sa Majesté me fait les excuses les plus basses.
— Je vous prie d’oublier mes expressions... »
Gourgaud s’en ira pourtant et, arrivé à Londres, pour se faire bien voir des Anglais, commettra sur Longwood et ses habitants, des indiscrétions regrettables...
Ce fut ensuite le tour d’O’Meara de quitter Sainte-Hélène. Il refusait de rapporter à Hudson Lowe les potins de Longwood. Il n’en avait pas toujours été ainsi d’ailleurs, mais le gouverneur était parvenu à se faire détester par le médecin qui refusait maintenant d’espionner les prisonniers... Le conflit entre les deux hommes deviendra aigu ; le gouverneur ira jusqu’à interdire à l’Irlandais de quitter Longwood pour Jamestown, attitude qui conduira le médecin de l’Empereur à se décider à abandonner son malade et à regagner l’Europe.
C’était à la fin de l’année 1817. Napoléon commençait alors à être atteint du terrible mal qui devait l’emporter. « Deux ans d’inaction, écrivait O’Meara dans son dernier rapport, un climat meurtrier, des appartements mal aérés, bas, un traitement inouï, l’isolement, l’abandon, tout ce qui froisse l’âme, agissaient de concert. Est-il surprenant que le désordre se soit mis dans les fonctions hépatiques ?... »
— Le crime se consommera plus vite, prédit Napoléon à O’Meara venu prendre congé, j’ai vécu trop longtemps pour eux. Votre ministère est bien hardi ; quand le pape était en France, je me serais plutôt coupé le bras que de lui enlever son médecin.
Le prisonnier estimait que Lowe n’avait pas le droit de lui imposer un
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