Napoléon
tiendrai ma parole. Votre gouvernement a dépensé déjà pour me garder un million de livres et ce n’est pas pour cesser. C’est folie de gaspiller tant d’argent. Me laisser vivre à l’aise en Europe serait d’une meilleure politique que de me tenir confiné entre ces murs sous les tropiques. Sans doute lord Liverpool n’a-t-il pas la moindre idée de la façon dont Hudson Lowe me persécute. Ce gouverneur a institué une police qui rappelle la Sicile. Il m’a enlevé mon médecin O’Meara, qui n’entrait pas dans ses vues, et il m’empêche d’avoir un autre médecin, quoiqu’il me sache au lit. Il a fait porter au comte Bertrand une lettre où il déclare que si je ne me montre pas à l’officier d’ordonnance, on pénétrera de force dans mon appartement. Dites qu’à raison de cette mesure, je vis dans ces misérables pièces enfermé au verrou. On n’entrera ici qu’en passant sur mon cadavre. On ne meurt qu’une fois, d’un coup de baïonnette ou autrement, qu’importe ? Si l’on veut m’assassiner, qu’on ne tarde pas. Je ne prendrai pas l’exercice indispensable à ma santé tant que sir Hudson Lowe demeurera ici, car je ne veux ni être exposé à des affronts, ni faire expulser de l’île des personnes à qui j’aurais pu dire par hasard quelques paroles. Les mesures prises contre mon évasion sont inutiles et odieuses. Pour comble de folie on me bâtit maintenant une maison qui coûtera des sommes immenses et que je n’occuperai jamais. J’en déteste l’emplacement qui est sans arbres et fait face au camp. Je n’y pourrais mettre le nez à la fenêtre sans voir des habits rouges. J’y aurais les oreilles battues de tous les roulements de tambours, j’y entendrais jusqu’au qui-vive des sentinelles. Y a-t-il rien de plus injurieux pour un soldat prisonnier ? Que lord Liverpool traite directement avec moi. Si Pitt vivait, il me traiterait autrement. Votre nation est généreuse, elle finira par s’indigner...
Mais Hudson Lowe entre en jeu dès que Ricketts a quitté Longwood. Il le détrompe, le convainc que le « général » lui a joué la comédie, et le gouverneur pourra écrire à lord Bathurst : « M. Ricketts... a percé toutes les manoeuvres par lesquelles on avait voulu lui en imposer. »
Après Las Cases, Gourgaud, O’Meara, Stokoë, c’est au tour de Mme de Montholon de prendre la détermination de quitter l’île. Elle a mis au monde la petite Napoléone {62} et ses couches l’ont fatiguée. Elle doit en outre s’occuper de ses deux enfants laissés en France. Montholon devait accompagner sa femme. Grâce à de mirifiques promesses testamentaires, Napoléon parviendra à le persuader de demeurer encore deux ans près de lui.
Le 1 er juillet 1819, Mme de Montholon et ses enfants sanglotent en quittant Longwood pour toujours. L’Empereur qui a pour Albine reconnaissance et affection – on ne sait toujours pas jusqu’où les choses sont allées... – voit s’éloigner le petit groupe de l’humble maison de bois, et il pleure « peut-être pour la première fois de sa vie », écrira Montholon à sa femme. En se mettant au bain, le proscrit déclare à Marchand :
— Montholon sent bien qu’il ne peut pas me quitter avant deux ans. Vous retournerez en Europe, vous retrouverez vos familles. Montholon retrouvera sa femme et ses enfants, toi, ta mère. Je serai mort, abandonné dans cette, solitude...
Le malheureux veut ensuite rendre visite à Mme Bertrand, assez souffrante, ce soir-là. En sortant, il voit les sentinelles qui s’approchent déjà de la demeure. II renonce à sortir, rentre chez lui et manque de tomber : deux rats viennent de lui passer entre les jambes...
De nouveau, l’Empereur se sent moins bien. Pour la première fois, il écrit son testament et refuse de quitter sa chambre. Angoissé par la crainte d’une évasion, Hudson Lowe accourt à Longwood et exige que l’officier d’ordonnance – c’est alors le capitaine Nicholls – posté dans les communs de la demeure de l’Empereur, puisse remplir sa mission : il doit s’assurer de la présence du prisonnier. Un jour il se hisse jusqu’à la fenêtre de la petite pièce où Napoléon prend son bain et – il l’écrira dans son rapport – voit l’Empereur « in naturalibus ». Cela ne suffit pas à sir Hudson qui rôde autour de la maison, envoye un officier frapper aux portes, convoque les domestiques, demande à parler à Montholon ou à
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