Napoléon
soupirant :
— Nous serons bientôt seuls tous les deux...
XXXIII
LA DÉLIVRANCE
Je crains de ne pas être assez heureux pour être frappé en plein fouet par un boulet sur un champ de bataille ; je mourrai dans mon lit...
N APOLÉON .
L’ ÉTAT de santé de l’Empereur s’aggravait de jour en jour, et les deux généraux étaient désormais rivés à leur chaîne. Le 5 décembre 1820, Montholon écrivait à sa femme : « La maladie de l’Empereur a pris une mauvaise tournure ; à son affection chronique s’est jointe une maladie de langueur bien caractérisée ; sa faiblesse est devenue telle qu’il ne peut faire aucune fonction vitale sans éprouver une fatigue extrême, et souvent perdre connaissance... »
Ce n’est maintenant plus seulement une immense fatigue : il souffre affreusement :
— Je ne sais ce que j’ai à l’estomac ; la douleur que je ressens est comme celle que ferait un couteau qu’on y aurait enfoncé et qu’on se plairait à remuer.
En ce début de l’été austral, il sort encore le matin en robe de chambre et s’asseoit pesamment dans le jardin sur son fauteuil pliant ou sur les marches du petit perron entouré d’un croisillon de guinguette.
— Ah ! moi, soupire-t-il, pauvre moi ! Parfois aussi, il récite – désespéré – ces vers de Voltaire :
Mais à revoir Paris je ne puis plus prétendre.
Vous voyez qu’au tombeau je suis prêt à descendre.
Je vais au roi des rois demander aujourd’hui
Le prix de tous les maux que j’ai soufferts pour lui !
« Ma vie, écrit Montholon, se passe avec lui, depuis qu’il est tout à fait tombé ; il veut que je sois toujours là ; il ne veut prendre d’autres remèdes que ceux que je lui donne ou lui conseille, son médecin en perd la tête ; seul je trouve grâce auprès de lui. »
Le 1 er janvier 1821 – sa dernière année – Marchand entre dans la chambre.
— Eh bien, lui dit le malade lorsque ses persiennes furent ouvertes, que me donnes-tu pour étrennes ?
— Sire, l’espoir de voir Votre Majesté se rétablir bientôt et de quitter un climat si contraire à sa santé.
— Ce ne sera pas long, mon fils, ma fin approche, je ne puis aller loin.
Quitter sa couche de soldat est maintenant pour lui un terrible effort :
— Le lit est devenu pour moi un lieu de délices. Je ne l’échangerais pas pour tous les trésors du monde. Quel changement ! Combien je suis déchu !... Il faut que je fasse un effort lorsque je veux soulever mes paupières... Mes forces, mes facultés m’abandonnent... Je végète, je ne vis plus.
Le 26 janvier, l’officier d’ordonnance de Lowe l’aperçoit sortant en phaéton : son visage est devenu « blanc comme une feuille de papier ». Lorsqu’il descend lourdement et avec peine de la voiture, aidé par Montholon, il semble « faible, chancelant... et bien cassé ».
Afin de lutter contre l’atonie, il fait confectionner dans le parloir une bascule – un tape-cul – Montholon se met à un bout – avec un sac de plomb – et l’Empereur se place à califourchon sur l’autre branche. Telles seront en compagnie de son dernier officier, ses dernières chevauchées.
Bientôt, il perd l’appétit, « excepté quelques très minces lèches de pain trempées dans du jus de gigot, quelques petites cuillerées de gelée de viande et quelques rouelles de pommes de terre frites. Pour boisson, il ne prend qu’un demi-verre de vin mêlé à autant d’eau. Une goutte de café termine le repas. » Puis il s’étend sur son canapé où il reste environ une heure avant de se mettre au lit. Sa faiblesse, dès le début du mois de mars 1821, devient extrême. Montholon écrit encore à Albine – le 5 mars : « C’est aujourd’hui un cadavre qu’un souffle de vie anime, au physique et au moral ; ce maudit Sainte-Hélène l’aura tué. »
Le 16 mars, l’effort pour se lever est insurmontable :
— En quel état suis-je tombé ! J’étais si actif et alerte ! À peine si je puis à présent soulever ma paupière ; mais je ne suis plus Napoléon !
Son teint est maintenant « jaune à faire peur ». Sa tête retombe sur sa poitrine. Prostré dans une demi-torpeur, son sommeil n’est plus qu’une rêverie, un long accablement plutôt. « Il est au dernier degré de la faiblesse, annonce Montholon à Albine, plongé dans un abattement, un affaiblissement dont rien ne le tire. »
Napoléon sait maintenant que tout est
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