Napoléon
fini :
— Si je finissais ma carrière à présent, ce serait un bonheur ; j’ai désiré par moments mourir ; je ne le crains pas ; ce serait pour moi un bonheur de mourir dans quinze jours. Qu’ai-je à espérer ? Peut-être une fin plus malheureuse.
Il n’a aucune confiance en Antommarchi qui le soigne avec ignorance et manque de coeur. Le malade refuse même, durant deux jours, de le voir. Il s’oppose également à la visite du Dr Arnott, arrivé à Sainte-Hélène en 1819 avec le 20 e Régiment. Le 30 mars, Lowe insiste d’autant plus pour que l’on reçoive Arnott, que l’officier d’ordonnance n’est point parvenu à entrevoir « le général » depuis douze jours.
— L’Empereur est malade, lui explique Montholon, il ne peut sortir, on ne peut donc le voir. Est-ce que vous enfonceriez ses portes ?
— Oui, si cela est nécessaire, on enfoncera ses portes, on entrera par la force.
— Mais cela serait le tuer.
— N’importe, je le ferai.
— Vous en êtes responsable.
— J’en suis responsable aux yeux des Cours. Je ne suis pas seulement l’agent du gouvernement anglais, mais le représentant des Puissances.
Bertrand demande de nouveau à l’Empereur de se laisser examiner par Arnott. Napoléon hausse les épaules :
— Votre médecin anglais ira rendre compte à ce bourreau de l’état où je me trouve. C’est vraiment lui faire trop de plaisir que de lui faire connaître mon agonie. Ensuite, que ne me fera-t-il pas dire si je consens à le voir ?...
Enfin, il s’incline :
— C’est plus pour la satisfaction des personnes qui m’entourent que pour la mienne propre, je n’attends rien de ses lumières.
En réalité, on le saura par l’autopsie, « la surface interne de l’estomac, dans presque toute son étendue, n’était qu’une masse d’affections cancéreuses ou de portions squirreuses prêtes à se cancériser : ceci était surtout remarquable près du pylore ». Le foie, sans hypertrophie, était un peu plus gros qu’à l’ordinaire, mais, précise encore le texte des médecins, « la surface convexe du lobe gauche du foie adhérait au diaphragme. À l’exception des adhérences causées par la maladie de l’estomac, aucune altération morbide n’était apparente au foie. »
Au lendemain de la mort de l’Empereur, Montholon l’écrira : « L’ouverture de son corps a prouvé qu’il était mort de la même maladie que son père, un ulcère squirreux de l’estomac près du pylore. Les sept huitièmes de l’estomac étaient ulcérés. Il est probable que, depuis quatre ou cinq ans l’ulcère avait commencé... ». Contrairement à ce qu’a affirmé Octave Aubry – le docteur Ganière est formel sur ce point –, un climat humide n’est nullement néfaste pour le développement d’un cancer. Sans doute, ces nuages chargés d’eau qui stagnent sur le plateau de Longwood et se transforment en un triste crachin peuvent-ils engendrer des rhumatismes et des « affections catarrhales », comme l’on disait alors, mais ne peuvent être à la base d’une maladie de foie ou d’une ulcération de l’estomac {63} .
La situation s’aggrave maintenant de jour en jour. Le 7 avril, Bertrand propose pour la deuxième fois à l’Empereur de le veiller durant la nuit. Marchand et Ali sont exténués :
— Sire, le zèle et l’affection tiennent lieu de bien des choses... J’ai passé tant de nuits près de vous comme aide de camp, je peux bien en passer quelques-unes comme valet de chambre. De quelque manière que je vous sois utile, peu m’importe, il me suffira d’avoir été bon à quelque chose. J’ai une femme et quatre enfants, ma femme peut m’envoyer chercher.
— Cela n’est pas nécessaire, répond Napoléon : il y a Coursot, Pierron et Antommarchi qui ne veillent pas. Mon malheur est d’avoir un valet de chambre malade.
Le surlendemain, il appelle Antommarchi à six heures du matin. Le médecin n’est pas chez lui. L’Empereur s’échauffe et la colère éclate :
— Il devrait être chez lui à six heures du matin. Il passe tout son temps chez Mme Bertrand.
Devant le grand-maréchal, Marchand et Antommarchi, enfin accouru, il répète son accusation :
— Eh bien, qu’il passe tout son temps avec ses catins... Mais débarrassez-moi de cet homme-là qui est bête, ignorant, fat, sans honneur. Je désire que vous fassiez appeler Arnott pour me soigner à l’avenir. Concertez-vous avec
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