Napoléon
plateau même, dans une maison toute voisine, un peu en contrebas de Longwood – et Napoléon est d’abord jaloux de cette intimité.
Ulcéré et meurtri, il en veut au médecin, et s’exclame :
— Je ne lui pardonnerai jamais d’avoir soigné une femme qui n’a pas voulu être ma maîtresse et de l’avoir encouragée à cela.
Puis l’exilé décide d’utiliser les relations existant entre le docteur et Fanny. On croit rêver : il demande à Antommarchi d’intervenir en sa faveur auprès de la cruelle :
— Je voulais, avoue-t-il au mari, qu’Antommarchi me servit de Mercure et qu’il déterminât Mme Bertrand à être ma maîtresse !
Et cette phrase se trouve dans le Journal même tenu par le grand-maréchal ! Ce jour-là, encore au mari, Napoléon déclare :
— Vous auriez dû prostituer votre femme. Vous vous deviez de la décider.
« Au reste, ajoute Bertrand avec humour et en parlant de lui à la troisième personne, il y avait cet avantage avec le grand-maréchal qu’il approuvait toujours l’Empereur et ne se plaignait jamais ! »
L’attitude de Fanny le rend furieux – et profondément injuste :
— Mme Bertrand est une catin, une femme perdue qui couche avec tous les officiers anglais passant près de la maison, qui va dans les fossés... la dernière des femmes !
Et c’est toujours dans le sein du mari qu’il épanche sa haine – du mari qui note soigneusement ces affreuses paroles dans son Journal. On comprend que le grand-maréchal ne désire lui aussi qu’une chose : quitter l’île. Mais Napoléon ne veut pas le laisser partir – sauf dans le cas d’une relève. Marchand voit un jour sur le bureau de son maître une liste de noms tracés au crayon : Caulaincourt, Rovigo, Ségur, Montesquiou, Daru, Drouot, Turenne, Arnaud, Denon. Le proscrit se refuse à envisager de n’avoir plus auprès de lui et en face des Anglais, un ancien grand-officier de la Couronne – ce que Montholon n’était pas. D’ailleurs, ce dernier, lui aussi, ne pense plus qu’à rejoindre sa femme. Déjà, le 31 octobre 1819, il écrit à Albine : « Si tu n’as pas encore envoyé quelqu’un pour me remplacer, ne perds pas un moment, peu importe qui, pourvu que ce soit un de ses anciens officiers, généraux ou amis. Je crois qu’il te sera facile d’en trouver : tant de ces malheureux compagnons de sa gloire sont errants aujourd’hui qu’il me paraît ridicule qu’il ne s’en trouve pas un grand nombre heureux de venir chercher ici un repos honorable pendant quelques années. »
Un an plus tard – le 6 novembre 1820 – l’Empereur lui-même estime que Montholon doit regagner l’Europe :
— Je suis trop malheureux pour que mes amis exigent que par ma volonté j’ajoute de nouveaux regrets à mon affreuse position. Je conçois votre désir de rejoindre votre femme et vos enfants. De toutes les privations que j’éprouve, la plus pénible pour moi, la seule à laquelle je ne m’accoutumerai jamais, c’est d’être séparé de ma femme et de mon fils. Mme de Montholon sait mieux que personne quelle espèce d’homme peut vous remplacer. Ma famille ne m’envoie que des brutes ; je désire qu’elle ne s’en mêle pas. Il est impossible de faire de plus mauvais choix que les cinq personnes qu’elle m’a envoyées.
Mais les grands-officiers auxquels pensait l’Empereur accepteront-ils de tout quitter pour aller s’enterrer vivants sur ce rocher ? Le 19 janvier 1821, Montholon écrit à Albine : « Bertrand et sa femme parlent hautement de leur départ en mars prochain, et sans attendre de remplacement. La belle Fanny ne veut pour rien au monde consentir à voir s’écouler un de ses printemps de plus sur notre triste rocher ; elle veut terminer gaiement en Europe le peu de beaux jours qui lui restent. Son mari regrettera Sainte-Hélène ; il le prévoit, et eût voulu n’en point partir, mais il est en cela, comme en beaucoup de choses, entièrement dominé par sa femme ».
Seul le silence répond à l’Empereur. Aussi le voit-on ordonner à Montholon de déclarer à Hudson Lowe « qu’il s’en remettait entièrement au choix qui serait fait par le roi Louis XVIII et ses ministres et recevrait avec plaisir toute personne qui aurait été employée dans sa maison civile ou militaire ou au Conseil d’État... »
Il en était là ! Demander à Louis XVIII de choisir ses compagnons de captivité ! Il le dira un jour à Marchand, en
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