Napoléon
cinquante ans.
« Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé. »
Il n’ignore pas que Marie-Louise l’a oublié – il ne se doute d’ailleurs pas à quel point ! – et il trace ces mots :
« J’ai toujours eu à me louer de ma très chère épouse Marie-Louise ; je lui conserve jusqu’au dernier moment les plus tendres sentiments ; je la prie de veiller pour garantir mon fils des embûches qui environnent encore son enfance.
« Je recommande à mon fils de ne jamais oublier qu’il est né prince français, et de ne jamais se prêter à être un instrument entre les mains des triumvirs qui oppriment les peuples de l’Europe. Il ne doit jamais combattre, ni nuire en aucune manière à la France ; il doit adopter ma devise : Tout pour le peuple français.
« Je meurs prématurément, assassiné par l’oligarchie anglaise et son sicaire ; le peuple anglais ne tardera pas à me venger.
« Les deux issues si malheureuses des invasions de la France, lorsqu’elle avait encore tant de ressources, sont dues aux trahisons de Marmont, Augereau, Talleyrand et La Fayette. Je leur pardonne ; puisse la postérité française leur pardonner comme moi... »
C’est à son fils qu’il lègue tous les lambeaux de sa gloire, et sur lesquels il a si souvent posé ses yeux de prisonnier :
« Mes armes ; savoir : mon épée, celle que je portais à Austerlitz, mon poignard, mon glaive, mon couteau de chasse, mes deux paires de pistolets de Versailles. Mon nécessaire d’or, celui qui m’a servi le matin d’Ulm, d’Austerlitz, d’Iéna, d’Eylau, de Friedland, de l’île de Lobau, de la Moskowa et de Montmirail... »
Dans la pauvre petite maison de bois, tandis que le vent souffle, c’est toute l’épopée qui renaît :
« Ma lunette de guerre, celle de France, mes ordres, mes lits de camp, mes uniformes, le grand collier de la Légion d’honneur, mes éperons, le glaive de Consul, le collier de la Toison d’or, mes trois flacons d’argent où l’on mettait mon eau-de-vie que portaient mes chasseurs en campagne, le réveille-matin de Frédéric II que j’ai pris à Potsdam, le sabre de Sobieski. »
Voici le dernier trophée : « quatre boîtes trouvées sur la table de Louis XVIII, aux Tuileries, le 20 mars 1815... »
Et toutes les dix lignes reviennent en leitmotiv ces neuf mots – cet alexandrin : les remettre à mon fils lorsqu’il aura seize ans.
Avec son admirable prescience, Napoléon a deviné qu’à l’âge de seize ans, celui que l’on avait affublé du titre de duc de Reichstadt – et de tout un lot de noms de seigneuries tchèques, imprononçables même pour un Autrichien – pourrait alors recueillir son éblouissant héritage. Certes Metternich veillait : les exécuteurs testamentaires n’auront pas l’autorisation de remettre au fils de l’Aigle les reliques de Sainte-Hélène. Le petit prisonnier de la Hofburg avait dû cesser de lutter ; il était devenu un prince autrichien, pensant et écrivant en allemand, appelant dans ses devoirs, son père M. de Buonaparte et les Français l’ennemi. À la veille de ses seize ans, la lecture du testament de Napoléon trouvé dans les
Mémoires de Montholon, qui avaient paru en 1825, sera pour lui comme un voile qui se déchire...
Montholon recevra deux millions de francs-or, « comme une preuve, écrit Napoléon, de ma satisfaction des soins filiaux qu’il m’a rendus depuis six ans, et pour l’indemniser des pertes que son séjour lui a occasionnées ». Il y avait peut-être aussi Albine... Bertrand n’aura que le quart de cette somme et Marchand le cinquième. Aucun domestique ne sera oublié. Aucun de ceux non plus qui lui ont rendu service ou qu’il a aimés au cours de sa prodigieuse existence : Drouot, Cambronne, Réal, Méneval, Marbot, Bignon, La Valette, Planat. S’ils ne sont plus leurs enfants hériteront, tels les descendants de La Bédoyère, de Bessières, de Mouton-Duvernet, de Gérard, de Travot, ou de Lallemand.
Il se souvient des plus humbles :
« Vingt-cinq mille francs à Hébert, dernièrement concierge à Rambouillet, et qui était de ma chambre en Égypte. Vingt mille francs à Lavigné, qui était dernièrement concierge de mes écuries, et qui était mon piqueur en Égypte. Vingt mille francs à Jeannet-Dervieux, qui était piqueur des écuries, et me servait en Égypte. Deux cent mille francs
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