Napoléon
seront distribués en aumône aux habitants de Brienne-le-Château qui ont le plus souffert ».
Son enfance, sa jeunesse resurgissent :
« Nous léguons au fils, ou petit-fils du baron du Teil, lieutenant-général d’artillerie, ancien seigneur de Saint-André, qui a commandé l’école d’Auxonne avant la Révolution, la somme de cent mille francs comme souvenir de reconnaissance pour les soins que ce brave général a pris de nous, lorsque nous étions lieutenant et capitaine sous ses ordres. Idem, au fils ou petit-fils du général Dugommier, qui a commandé en chef l’armée de Toulon, la somme de cent mille francs ; nous avons, sous ses ordres, dirigé le siège, et commandé l’artillerie ; c’est un témoignage de souvenir pour les marques d’estime, d’affection et d’amité que nous a données ce brave et intrépide général. Idem. Nous léguons cent mille francs au fils ou au petit-fils du député à la Convention, Gasparin, représentant du peuple à l’armée de Toulon, pour avoir protégé et sanctionné de son autorité le plan que nous avons donné, qui a valu la prise de cette ville, et qui était contraire à celui envoyé par le Comité de salut public. Gasparin nous a mis par sa protection à l’abri des persécutions de l’ignorance des états-majors qui commandaient l’armée avant l’arrivée de mon ami Dugommier. Idem. Nous léguons cent mille francs à la veuve, fils ou petit-fils de notre aide de camp Muiron, tué à nos côtés à Arcole nous couvrant de son corps. »
Secoué par des vomissements, il soupire, en voyant entrer Arnott dans sa chambre :
— J’ai trop écrit, docteur, je n’en puis plus.
— Une dictée, sans doute ?
— Non, entièrement de ma main. J’écris très mal, très vite et on ne peut me lire. Vous autres, Anglais, vous écrivez mieux que nous. J’ai méprisé cela dans ma jeunesse ; je m’en suis repenti depuis. Au reste, j’avais la tête trop vive pour que ma plume pût suivre mes pensées. Dans mon beau temps, je pouvais dicter à quatre secrétaires et leur donner beaucoup de travail. Mais vous m’avez assassiné.
C’est le 20 avril que, pour la dernière fois, il s’adresse, par-dessus la tête d’Arnott, au gouvernement britannique :
— Je suis venu m’asseoir au foyer du peuple britannique, demandant une loyale hospitalité, et contre tout ce qu’il y a de droits sur la terre, on m’a répondu par des fers ; j’eusse reçu certainement un autre accueil d’Alexandre, de l’empereur François, du roi de Prusse même ; ces princes eussent été plus généreux. Mais il appartenait à l’Angleterre d’entraîner les rois et de donner au monde le spectacle inouï de quatre grandes puissances s’acharnant sur un seul homme. C’est votre ministère qui a choisi cet affreux rocher où se consomme en quelques années la vie des Européens, pour y achever la mienne par un assassinat. Comment m’a-t-on traité depuis que je suis ici ? Il n’y a pas d’indignité dont on ne se soit fait joie de m’abreuver ! Les plus simples communications de famille m’ont été refusées ; on n’a laissé arriver jusqu’à moi aucune nouvelle de ma femme et de mon fils ; pour demeure, on m’a donné l’endroit le moins fait pour être habité, celui où le climat meurtrier du tropique se fait le plus sentir ; il m’a fallu me renfermer entre quatre cloisons dans un air malsain, moi qui parcourais à cheval toute l’Europe. Voilà, docteur, l’hospitalité que j’ai reçue de votre gouvernement ; je suis assassiné longuement, en détail, avec préméditation, et l’infâme Hudson Lowe est l’exécuteur des hautes oeuvres de vos ministres. Vous finirez comme la superbe république de Venise et moi, mourant sur cet affreux rocher, je lègue l’opprobre de ma mort à la maison régnante d’Angleterre.
Il a parlé pour la postérité...
Le lendemain, il demande à l’abbé Vignali :
— Savez-vous ce que c’est qu’une chambre ardente ?
— Oui, Sire.
— En avez-vous desservi ?
— Aucune, Sire.
— Eh bien, vous desservirez la mienne, lorsque je serai à l’agonie ; vous ferez dresser un autel dans la pièce voisine, vous exposerez le Saint-Sacrement et vous direz les prières des agonisants ; je suis né dans la religion catholique, je veux remplir les devoirs qu’elle impose et recevoir les secours qu’elle administre.
Au chevet du petit lit de fer, Antommarchi fait l’esprit
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