Napoléon
manière si absolue, supplier pour une cuillerée de café, solliciter la permission, obéissant comme un enfant, redemandant la permission et ne l’obtenant pas, revenant et toujours sans succès, toujours sans humeur. Dans d’autres moments de sa maladie, il envoyait paître ses médecins et leurs conseils et faisait ce qu’il voulait. Il avait à présent la docilité d’un enfant. Voilà le grand Napoléon : misérable, humble... »
Et d’une pauvre voix, il reprend :
— Puis-je avoir du café ?
— Non, Sire.
Le 30 avril, il se réveille en sursaut en criant :
— Ah ! la mort ! La mort !
Le lendemain, il consent, enfin, à recevoir Mme Bertrand. Elle s’assied au pied du lit.
— Eh bien, Madame, vous avez été malade aussi. Vous voilà bien maintenant. Votre maladie était connue, la mienne ne l’est pas et je succombe.
Il n’a plus que quatre jours à vivre.
Le mardi 1 er mai 1821, « il pose la grande question, note Bertrand, il paraît dire qu’il n’y a rien après ». La nuit suivante, hagard, ne semblant reconnaître personne il veut se lever.
— Il faut attendre le jour, lui dit Montholon.
Cela ne l’empêche pas, avec une force extraordinaire, de sortir du lit. Sa peau est brûlante. Montholon et Vignali essayent de le retenir.
— Ne me brutalisez donc pas !
Et il retombe sur son lit. Ali accourt ainsi que le docteur Antommarchi. On recouche le mourant non sans peine. « On a cru qu’il voulait passer. » Le matin, l’Empereur est de nouveau comme un enfant doux et calme. Arnott lui fait prendre un peu de vin avec du sucre. Après chaque gorgée, il répète :
— Good... very good.
« On l’a changé de gilet de flanelle, note Bertrand. On a pansé le vésicatoire du ventre. Il a manqué se trouver mal. Très faible, les yeux mourants, il regarde Marchand avec un regard qui inspire la pitié et avec l’air de dire : Vous avez de la cruauté de me tourmenter. Toute la journée, il n’a plus eu la force de rien refuser ; il a pris tout ce qu’on lui a présenté, a fait ce qu’on a voulu, sans rien dire. Il n’a parlé que par des regards (sauf) en deux circonstances. Le hoquet devenait fréquent, on lui a fait avaler une cuillerée d’éther qui l’a calmé et lui a procuré quelques minutes de sommeil ; la deuxième fois, il a dit : « Coquin de Marchand ! » À onze heures et demie on a changé son drap de dessus ; il a dit au grand-maréchal qui, fort trempé, lui avait pris la main : « Vous avez bien chaud. » Une autre fois : « Mon ami, chassez les mouches. »
Une consultation, à la demande du gouverneur, réunit plusieurs médecins. Ils préconisent de laver les reins du malade avec de l’eau de Cologne...
— Quel résultat de la science ! trouve encore la force de s’exclamer l’Empereur, brusquement sorti de l’inconscience, lorsqu’on lui fait part de la décision prise par les praticiens. Quelle consultation ! Laver les reins avec de l’eau de Cologne ? Bon ! Quant au reste, je n’en veux pas.
Le reste ? Il s’agissait de calomel que l’on parvint à lui donner sans qu’il sans aperçoive – ou plutôt, lorsqu’il s’en aperçoit il est trop tard et il se contente de soupirer :
— Ah ! toi aussi, Marchand, tu me trompes !
L’effet – une évacuation « qui ressemblait à la poix ou au goudron » – est considérable. Il faut de nouveau changer les draps – pour la dernière fois. Ali le soutient. Napoléon lui donne un coup de poing dans le flanc en geignant :
— Ah ! coquin, tu me fais mal.
Ce soir-là, l’agonisant appelle l’abbé Vignali. Lorsqu’il sort de la chambre, l’abbé annonce à Marchand :
— L’Empereur vient d’être administré, l’état de son estomac ne permet pas un autre sacrement.
« Je rentrai chez l’Empereur que je trouvai les yeux fermés, a raconté Marchand, le bras étendu sur le bord de son lit ; je mis un genou en terre et j’approchai mes lèvres de sa main sans que ses yeux s’ouvrissent. Je prévins Saint-Denis qui en fit autant, sans que l’Empereur les ouvrît davantage. Je continuai à rester seul debout devant le lit de l’Empereur comprimant mes sanglots mais laissant couler mes larmes. »
L’Empereur sort cependant de sa léthargie pour demander d’une voix sourde à Marchand :
— Comment s’appelle mon fils ?
— Napoléon.
Le vendredi 4 mai – veille de sa mort – il fait un temps affreux. La pluie
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