Napoléon
l’Empereur, et se trouvait dans l’obligation de fermer aux navires anglais ses ports et les embouchures de ses fleuves. Il lui fallait même rompre avec la Russie ! La reine Louise fulmina contre les exigences du « tyran français ». Frédéric-Guillaume pleura... mais, tremblant de peur, n’ayant le choix qu’entre la guerre et la ratification, le roi de Prusse signa le traité et fit savoir à l’Angleterre qu’il était contraint, à son corps défendant, d’occuper le Hanovre – alors qu’il guignait depuis longtemps cette proie voisine de ses frontières... Patelin, secrètement ravi, le ministre prussien Hardenberg dira aux Anglais, en soupirant :
— J’abhorre la manière infâme par laquelle nous faisons cette acquisition. Nous pouvions rester les amis de Bonaparte... sans devenir ses esclaves.
Bien entendu, Frédéric-Guillaume, maître en la matière du double jeu et de la duplicité, ne voulant maintenir, selon l’expression de son ministre Haug-witz, qu’un « simulacre de paix », avouait à l’Autriche que « s’il avait jamais existé une Puissance que la Prusse avait eu l’intention de tromper, c’était la France ». Et, en sous-main, le gouvernement de Berlin multipliait les manifestations d’amitié et de dévouement envers l’Angleterre et la Russie.
Napoléon avait cependant gardé, durant quelque temps, l’espoir de signer la paix avec l’Angleterre. William Pitt était mort le 23 janvier 1806 et Charles Fox, le chef du parti whig, semblait bien plus accommodant que son rival et prédécesseur. Le 20 février, il avait pris la peine d’écrire à Talleyrand pourle prévenir qu’un tueur était venu lui proposer d’assassiner « le chef des Français ». « Je reconnais là les principes d’honneur et de vertu qui ont toujours animé M. Fox », répondit l’Empereur, en ajoutant que cette démarche se présentait comme « le présage de ce qu’on peut attendre d’un cabinet dont je me plais à apprécier les principes d’après ceux de M. Fox ». Quelques jours plus tard – le 2 mars–,Napoléon déclarait au Corps législatif :
— Je désire la paix avec l’Angleterre, je serai toujours prêt à la conclure en prenant pour base les stipulations du traité d’Amiens.
Mais, après des essais de réconciliation, après bien des tractations entre Yarmouth et Clarke, après tant d’espoir, tout s’écroula : Fox mourait à son tour.
— La mort de M. Fox, dira plus tard Napoléon, a été une des fatalités de ma carrière... S’il eût continué à vivre, la paix se serait effectuée.
Sans doute, en Russie, au lendemain d’Austerlitz, la colère contre « cet infâme Corse couvert du sang qu’il répandait pour plaire à Robespierre » avait-elle redoublé, cependant le temps avait, en partie, arrangé les choses et, au mois de juillet, le tsar s’était résigné à envoyer à Paris le baron d’Oubril afin de commencer des pourparlers en vue d’une paix prochaine. Napoléon crut même que les négociations avaient abouti, puisque, le 22 juillet, il annonçait à Decrès : « La paix a été signée entre la France et la Russie le 20 de ce mois... Notre intention est que vous fassiez publier dans tous nos ports que les vaisseaux russes doivent y être considérés comme amis, et que tous les commandants de nos ports, de nos escadres et de nos bâtiments doivent les traiter comme tels. » La paix avait été signée peut-être trop rapidement par Oubril, car le tsar, craignant de déplaire à l’Angleterre – Londres qualifiait le traité de « mortifiant » – refusait de ratifier les accords conclus cependant en son nom. Aussitôt, la Prusse ne se sentit plus de joie.
Le projet de rétrocession du Hanovre à l’Angleterre va mettre le feu aux poudres. Au cours destransactions avec l’Angleterre, Napoléon avait, en effet, proposé de rendre le Hanovre occupé par la Prusse à la maison royale anglaise, à la condition d’offrir une compensation à Berlin... mais lord Yarmouth, venu à Paris pour essayer de rapprocher les deux pays, éprouva le besoin de faire des confidences au ministre de Prusse en France, Lucchesini, tout en se gardant bien de parler de compensation – et la Prusse se crut jouée. Cette omission volontaire ou non permettra à Napoléon de croire que la « perfide Albion » avait agité devant les Prussiens un chiffon rouge destiné à les pousser à se battre pour l’Europe.
Aiguillonné
Weitere Kostenlose Bücher